Histoire De France 1715-1723 Volume 17
briser ou de l'être lui-même.
Le Parlement se fût moins avancé s'il avait su le 12, à son premier arrêt, le désastre espagnol du 11. Mais il fallait au moins douze jours pour que la nouvelle arrivât. Le 21, il fit le pas le plus hardi, voulant que le Régent lui rendît compte, lui donnât un état des billets supprimés. Quel jour arriva la nouvelle? Nul ne le dit; mais les faits montrent que ce fut le 23.
Byng la manda à Londres certainement par le chemin le plus court, le plus sûr, c'est-à-dire par la France. Donc, comptons trois ou quatre jours de laSicile à Marseille, et huit de Marseille à Paris. Cela fait douze jours, et nous arrivons au 23. Le 24, un changement subit, violent en toute chose, en dit l'effet profond. Law, à son grand étonnement, reçoit non des recors pour l'arrêter, mais des députés du Parlement qui le prient d'excuser la violence de leurs collègues, d'intervenir, d'intercéder, de leur concilier le Régent.
Dubois qui, le 19, était revenu d'Angleterre, et qui, dans son intimité avec les ministres anglais, certainement savait toute chose, attendait, désirait la noyade espagnole; mais, voyant leurs hésitations, à peine il osait l'espérer. Aussi, du 20 au 23, il resta flottant, indécis, disant qu'il vaudrait mieux n'agir qu'aux vacances en septembre. Le 24, lui aussi il est changé en sens inverse, ardent contre le Parlement, actif pour l'organisation d'un Lit de justice qui, le 26, l'écrasera au nom du Roi.
La chose n'était pas difficile en elle-même. Le Parlement était fort peu d'accord; les meilleurs de ses membres savaient parfaitement qu'il avait dépassé son droit. Il s'était avancé étourdiment, et ridiculement tout à coup avait reculé. On le tenait, et par l'argent. Les charges, achetées chèrement, et qui faisaient souvent tout le patrimoine de la famille, rendaient celle-ci fort craintive. Les femmes, au moindre danger, mères, filles, épouses, priaient, pleuraient, troublaient la vertu de Caton. Il suffît d'un mot du Régent à Blancmesnil, l'avocat général, pour le paralyser, le faire bègue ou muet. Mot simple, sans menace. Il lui conseilla «d'être sage.»
Le difficile pour le Régent était son parti même, son ami prétendu, M. le Duc, la férocité d'avarice que montraient les Condés, dangereux mendiants, de ces bons pauvres armés qui demandent le soir au coin d'un bois. Quand Henri IV eut la sotte bonté de les croire et les faire Condés (malgré le procès criminel qui les fait fils d'un page gascon), ils avaient douze mille livres de rente. Ils ont, sous le Régent, dix-huit cent mille livres de rente, et dans les mains de l'aîné seul, M. le Duc. Je ne parle pas des Conti.
Avec cela avides, insatiables, grondant, menaçant en dessous.
M. le Duc dit au Régent qu'il voulait le servir, mais qu'hélas! il était bien pauvre, n'était pas établi, n'ayant que le gouvernement de Bourgogne. Il lui fallait: 1 o une petite pension de 150,000 livres (600,000 fr. d'aujourd'hui) comme honoraires de chef du Conseil de Régence; 2 o pour son frère Charolais, un établissement de prince; 3 o enfin l' éducation du roi enlevée au duc du Maine.
Saint-Simon, ami du Régent, et véritablement ami du bien public, fit les plus grands efforts pour défendre le duc du Maine qu'il détestait, pour empêcher que le Roi ne tombât en des mains si funestes, si dangereuses. Il se tourna et retourna habilement, de toute manière, avec art, adresse, éloquence, pour fléchir M. le Duc. Il le trouva plus sourd encore que borgne, ferme et froid comme la mort. Dans les conférences de nuit qu'ils eurent aux Tuileries, le long de l'allée basse qui suit la terrasse de l'eau, tout ce qu'il en tira par trois ou quatre fois, revenant à la charge le21, le 22, le 23, c'est qu'à moins de cela « il serait contre le Régent .»
Ainsi, des deux côtés, les Condés, trop fidèles à leur tradition de famille, voulaient régner; sinon la guerre civile. Toute la bataille était entre Condé et Condé. La duchesse du Maine, comme le grand Condé, son aïeul, la préparait, appelait l'Espagnol; et son neveu, M. le Duc, ennemi acharné de sa tante, intimait au Régent que, s'il ne lui mettait en main le Roi et l'avenir, il passerait à l'ennemi.
M. le Duc gagné, comblé, soûlé, recevant du Régent le don fatal qui pouvait perdre le Régent, était-ce tout? Oui, ce semble. Car, quoique le duc du Maine eût tant de choses en main: l'artillerie, les Suisses,
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