Histoire De France 1715-1723 Volume 17
plusieurs furent gagnés au Régent. Ils n'agirent pas d'ensemble pour soulever la Bretagne. Quand on y prit les armes (trop tard, en 1719), les meneurs gentilshommes n'avaient avec eux que deux prêtres.
L'autre condition manqua de même. Point de troupes espagnoles. L'ambassadeur Cellamare, le 30 juillet, mandait de Paris à Alberoni qu'on ne pouvait rien sans cela. Et Alberoni répondit: «L'armée, la flotte sont en Sicile.» Le 11 août, la voilà détruite, cette flotte, et l'armée quasi prisonnière, qui ne peut plus sortir de l'île.
La Vendée de l'Ouest se trouve tout au moins ajournée. La Fronde de Paris, la cour de Sceaux, les chefs du Parlement liés avec Madrid et le Parlement de Bretagne, sont blessés pour l'instant avec Alberoni.
On ne pouvait savoir le désastre espagnol que le 22 ou le 23. Les meneurs de Paris, dans l'ignorance où ils étaient de ce grand coup, croyaient pouvoir en frapper un ici. Le 18 août, la duchesse du Maine envoyait de Sceaux sa célèbre femme de chambre, mademoiselle Delaunay, pour conférer encore avec eux. Elle les vit à minuit sous le pont Royal, et, sans doute, leur donna ses dernières instructions. On méditait une chose violente, qui eût atteint de très-près le Régent, une rapide exécution qui l'aurait avili en montrant sa faiblesse, et qui eût exalté le peuple (toujours admirateur de l'audace) pour le Parlement. Sanglante expérience; mais sur un étranger, sur un aventurier, in animâ vili .
Le 12, on avait renouvelé un arrêt de l'ancienneFronde (porté alors contre le Mazarin), arrêt qui défendait à tout étranger de s'immiscer au maniement des deniers royaux sous peine de mort, le condamnait sans forme de procès. Law, enlevé de sa Banque, amené dans l'enceinte du Palais, eût été pendu sur-le-champ. On a douté que la chose fût sérieuse. Elle eût été impossible, en effet, s'il eût fallu un jugement en règle de ce grand corps où il y avait nombre d'honnêtes gens; mais, sur l'arrêt déjà rendu le 12, nulle procédure nouvelle n'eût été nécessaire. Les présidents, un de Mesmes, un Blamont, un Lamoignon, n'eussent eu qu'à ordonner d'exécuter l'arrêt. Law, plus intéressé que personne à bien s'informer, se crut en vrai péril, et Saint-Simon l'y crut; car il lui conseilla de se cacher, lui fit chercher asile au Palais-Royal même, chez le Régent.
La chose était énorme d'injustice et d'ingratitude.
Et d'abord d'injustice. On prenait occasion de l'irritation qu'avait causée la monnaie de d'Argenson. Mais d'Argenson était justement rival de Law. En juin, avec les Duverney, il l'avait empêché d'avoir le bail des Fermes et gabelles , et il l'avait pris pour lui-même.
On avait cru habile de s'attaquer à l' étranger . Depuis les Concini et les Mazarini, le mot était puissant pour lancer à l'aveugle la meute populaire. Grande pourtant était la différence. Ces gens entrant en France n'avaient pas de chemise et moururent horriblement riches. Law entra riche en France et sortit pauvre, en galant homme.
Les jansénistes mêmes, les honnêtes gens du Parlement,étaient ici peu délicats. Ils avaient horreur de penser qu'un huguenot pût devenir contrôleur général. Law avait contre lui toutes les branches du parti dévot. Il était protestant; il était apôtre et prophète de certaines utopies économiques, humanitaires. Ses caissiers, ses commis, étaient souvent des réfugiés, qui, forts de sa protection, hardiment étaient revenus.
Je ne dis rien encore ici de lui, ni de ses précédents, rien du Système . Notons seulement que Law, alors, en 1718, n'avait marqué en France que par deux éminents services, se hasardant pour nous, engageant sa bonne chance, jusque-là très-heureuse, dans notre mauvaise fortune.
Il avait débuté par un bienfait qu'on ne pouvait nier. Il avait créé une Banque qui n'exigeait des actionnaires qu'un quart en argent, acceptant pour le reste nos malheureux billets d'État , résidu de la banqueroute, dépréciés dès leur naissance. Dès lors, ils furent moins rebutés. Le crédit public fut un peu relevé. L'industrie, le commerce, reprirent du moins espoir. Cette Banque, par son escompte modéré, supprima l'usure. Celui qui prenait ses billets (valeur fixe, réglée uniquement sur un poids d'argent) n'avait pas à craindre les variations ruineuses que les monnaies subissaient sans cesse.
L'État, comme les particuliers, trouvait ces billets fort commodes. M. de Noailles,
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