Histoire De France 1715-1723 Volume 17
était de cinq cent mille francs. Huit jours après, il avait dix millions et s'appelait M. de la Bastide. Six mois après il était ruiné, reprenait du service, avec son nom de Languedoc.
La brocanteuse. Un jour entra chez Law une bonne femme de province, une wallonne de la Meuse, une dame Chaumont. Elle implore sa justice dans une affaire, et elle parle si bien d'affaire, que Law l'appuie. C'était sur la frontière une brocanteuse de dentelles, qui au passage des armées s'était intéressée avec deux fournisseurs et leur avait fait des avances. Ces gaillards (un soldat gascon et un barbier de régiment) avaient fort réussi dans les fourrages, et le barbier, se disant noble, avait eu l'industrie d'obtenir une demoiselle de Saint-Cyr, et la protection de Versailles. Depuis, les deux associés, travaillant à Paris, ne songeaient plus à payer la Chaumont. Elle vient. On ne veut la payer qu'en billets d'État, qui alors perdaient 60 pour 100. Cette femme courageuse accepta, sachant ou devinant le nouveau miracle de Law, qui décuplala valeur des billets. Elle eut en un mois six millions. Les deux fripons pleurèrent alors, et ils voulaient lui disputer ses bénéfices. De là un procès solennel dont Law amusa le Régent. Ils donnèrent raison à la femme, qui avait cru, quand personne ne croyait encore. «Il lui fut fait selon sa foi.»
Cette Chaumont paraît avoir eu le don qu'on recherchait le plus alors, quelque chose de rond, d'ouvert, de simple qui donnait confiance. Elle était relativement honnête. Elle dut être le prête-nom des employés de Law qui n'osaient jouer sans masque. Elle devint bientôt, comme on va voir, un centre autorisé, et comme l'hôtesse et la nourrice, la bonne mère des agioteurs, tenant (sans doute aux frais de Law et de la Banque) une table immense, prodigieuse, pour recevoir des milliers d'hommes. Les joueurs de toute nation que Law voulait attirer à Paris allaient manger chez la Chaumont. Sa cuisine de Gargantua, Bourse gastronomique où l'on fricotait des affaires, rappelait par sa monstrueuse grandeur les mangeries impériales, les distributions, les repas où jadis les Césars firent asseoir le peuple romain.
Les belles agioteuses. L'écueil, il faut le dire, de ces triomphes de Plutus, c'était le défaut national, la galanterie. Des dames intrépides, pour brusquer la fortune, sans perdre le temps à jouer, se saisissaient du joueur même. Éprises de celui qui gagnait, dans ces moments d'ivresse où un coup de fortune trouble la tête, elles échangeaient vivement l'amour contre le portefeuille.
La langue de la Bourse y aidait, et Law avait donnél'essor. Ses actions, au féminin, avaient de jolis noms de femmes. Les anciennes, nées de quelques mois, étaient nommées les mères , celles d'après les filles , les récentes les petites filles . Pour avoir une petite fille , il fallait présenter et des filles et des mères , pas moins de quatre mères . Or, cela se réalisait. Tel achetait des actions, et se trouvait payé en filles ; il avait une mère et plusieurs.
Plusieurs furent comiquement dupes. Un Rauly, par exemple, l'un des meilleurs, bon, généreux, crédule, fut surpris par deux Hollandaises, la mère et la fille, celle-ci un miracle de naïve ingénuité, de beauté enfantine et tendre. Il eut un moment poétique, voulut fuir au désert, je veux dire acheter quelque part hors de France, loin des procès possibles, un nid voluptueux pour cacher son trésor. Il envoya les dames devant, avec son intendant, qui devait mettre là un million à couvert. Cet intendant était un homme sûr, honnête, mais, hélas! un Français tout aussi galant que son maître. Le voilà amoureux, éperdu, idiot. Bref, il ne voit plus goutte, se laisse enlever son million. Les belles et le million étaient partis ensemble, si loin, qu'on n'a jamais su où.
Tels furent les jeux de l'amour, du hasard, parfois tragiques, atroces. Un Bordelais, le fils d'un conseiller au Parlement, poussé au désespoir par une maîtresse exigeante qui l'avait mis à sec et voulait le quitter, tua son père qu'il croyait un grand thésauriseur. Il ne trouva rien et s'enfuit. Sous des noms supposés, il joua, et devint trop riche pour être poursuivi. Mais tout le monde le connaissait. Sa lugubrefigure, sa démarche égarée, disaient assez qui il était.
L'entremetteuse. Madame de Tencin fit-elle, comme le veut Soulavie, un livre sur l'orgie antique? Organisa-t-elle à Saint-Cloud (pour relever
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