Histoire De France 1715-1723 Volume 17
le pauvre prince) des bacchanales assaisonnées de pénitences obscènes? J'en doute. On a chargé la légende de cette sainte. Les chansons de l'époque assurent, chose plus vraisemblable, que l'ex-religieuse, avec sa grâce et sa finesse, son expérience (elle n'était pas loin de 40 ans), avait le mérite spécial d'une infinie complaisance en amour. Elle en savait beaucoup. On pensait qu'avec elle il y avait toujours à apprendre. Dubois, d'Argenson, Bolingbroke, vrais gourmets, aimaient ce fruit mûr. Elle tenait maison aux dépens de Dubois, lui faisant croire que son salon, agréable aux Jésuites, avancerait l'affaire du chapeau. Par lui, par d'Argenson, elle avait des secrets de Bourse. Elle jouait les fonds que Bolingbroke avait la simplicité de lui confier. Mais pour ne pas descendre à la rue Quincampoix, elle avait un amant exprès, M. de la Fresnaye. Il était sûr, exact à rapporter ses gains; elle lui faisait croire qu'elle l'épouserait. En 1726, elle traita impartialement ces deux derniers. À Bolingbroke elle nia le dépôt, et rit au nez de la Fresnaye. Celui-ci, furieux, surtout d'avoir été si sot, se coupa la gorge chez elle et inonda tout de son sang.
Il n'est pourtant pas sûr qu'elle aimât fort l'argent, ni le plaisir. Elle ne fit pas fortune. Ce qu'elle aimait, c'était de s'entremettre, d'intriguer, de corrompre. Par elle ou par sa sœur, qui avait les mêmes dons,furent travaillées l'affaire d'Aïssé, plus tard celles des trois fameuses sœurs avec le roi. Mais le maquerellage politique ne lui plaisait pas moins. Elle et son frère avaient des arts charmants pour amollir les gens et leur faire trahir leur principe. Ils corrompirent Law, l'amenèrent à se faire catholique. Ils corrompirent jusqu'aux Jésuites, leur firent laisser l'Espagne, le Prétendant, pour accepter Dubois, l'homme de l'alliance anglaise. Enfin, faut-il le dire? le croira-t-on? ils corrompirent Dubois!
Law n'aurait pu, sans l'aveu de Dubois, emporter sa victoire, entamer sa grande œuvre. Dubois, en convertissant Law par son ami Tencin, pouvait se faire un honneur infini dans le monde catholique, un titre solide au chapeau.
La grande difficulté, c'est que Dubois était Anglais de cœur, de système, de position. Il fallait obtenir de lui une petite infidélité à cette passion dominante, pour quelques mois du moins. Il donnait, il est vrai, en ce moment au ministère anglais un très-solide gage en détruisant la marine espagnole. Mais, quoi! si la Bourse de Londres, malgré cela, se mettait à crier? si les spéculateurs (et le prince de Galles en était) s'en prenaient à Dubois, la pension d'un million lui serait-elle continuée? Grave, très-grave considération qui pouvait rendre Dubois incorruptible. Cet esprit net et froid, qui se moquait de tout, serait-il pris aux mirages de Bourse? Il y fallait, ce semble, beaucoup d'art?... Ce fut tout le contraire. On alla droit au but en employant tout franchement la compagnie du Savoyard .
Un des chefs de la compagnie était du pays des Tencin, du Dauphiné.
La plupart de ces gens d'affaires, d'argent, d'intrigues, venaient de Lyon, Grenoble, Genève, des pays hauts et pauvres, étaient de rusés montagnards. Le plus fameux, c'est Duverney.
Avez-vous vu un dessin de Watteau, merveilleusement fort, le Savoyard ? C'est un drôle, un rieur de gaieté singulière, gaieté physique propre à ces fortes races qu'on croirait innocentes,—en réalité, prêtes à tout.
Jeune et riant toujours, cet enfant des montagnes, aussi rude joueur que porteur ou scieur de bois, ira haut, ira loin dans les affaires, n'ayant ni hésitation, ni scrupule. Il rit en vous volant, rirait en vous cassant les reins.
C'était la vraie figure pour faire fortune, et ce fut, je n'en fais pas doute, celle de Chambéry, un Savoyard qui créa cette compagnie. Il avait sa sellette au coin de la rue aux Ours, mais il monta, devint frotteur, porteur de sacs, se frotta à l'argent. Il était honnête, économe, à ce point qu'il avait amassé mille francs. Il lui fallait pour associé un homme qui parlât bien, écrivît, fût grave et posé. Il en trouva un plus que grave, un habit noir, étonnamment sérieux. C'était ce Bordelais qui avait tué son père. Les associés s'associèrent deux fripons, un Dauphinois qui prétendait avoir une manufacture de savon, et un M. Bombarda, trésorier du trésor vide de l'électeur de Bavière, usurier enrichi de la ruine de son maître. Je passe toutes
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