Histoire De France 1715-1723 Volume 17
circonstances déplorables. Un mois après ses couches, elle se retrouva enceinte, bientôt tomba malade et n'en releva plus.
Madame, sa grand'mère, qui ne se mêlait de rien, et ne demandait rien, pour l'affaire de Riom, demanda, agit, fut terrible. Elle eût voulu le faire noyer. Elle dit au Régent qu'elle quittait la France, si cet homme n'était arrêté. Comme il allait joindre son régiment (27 avril), il fut saisi à Lyon et mis dans la dure prison de Pierre-en-Cize. Quel coup pour l'orgueilleuse qu'on eût osé cela sur son capitaine des gardes, sur l'homme qui lui appartenait! Elle employa le grand moyen, et, quoique fort peu remise, elle fit venir le Régent à Meudon (1 er mai) pour un souper intime. Sans souci de sa vie, elle prolongea la nuit sous les étoiles cette folle fête qui délivra Riom, mais la tua.
Elle eût voulu encore une chose impossible, insensée, faire revenir Riom au nez de sa grand'mère, écraser celle-ci, solenniser ce bel hymen. Le Régent, effrayé de la trouver si absurde et si violente, n'osait plus aller à Meudon. Elle se fit porter à la Muette pour le tourmenter de plus près. Il n'y venait guère davantage. Il alléguait les embarras réels, très-graves, qu'il avait à Paris. Au moment où le grandsuccès de Law relevait ses affaires, on voulait le lui enlever. Un complot se formait pour faire sauter la Banque. C'était le milieu de juillet. La malade, seule à la Muette, abandonnée du Régent même, soit par douleur et désespoir, soit par un fol essai pour ressaisir la vie, se lève, se fait un grand repas, et de choses rafraîchissantes. Dans la soif qui la dévore, elle mange du melon en buvant de la bière glacée ( ms. Buvat ). Cela l'achève. Elle tombe.
Deux médecins sont à son chevet. Chirac, celui de son père, s'obstine à la purger, et l'empirique Garus lui administre son brûlant élixir. Même incertitude pour l'âme. Chirac ne souffrait pas qu'on lui parlât de sa fin. D'autres l'avertissaient. Elle prit vivement son parti, fit ouvrir toutes les portes, reçut solennellement les sacrements, dans une triste et sinistre ostentation de fermeté, parlant moins en chrétienne qu'en reine à qui cela est dû.
On s'exagérait la douleur du duc d'Orléans qui était là à la Muette, à ce point que presque personne n'osa y venir. Saint-Simon, qui y vint, le trouva seul. Deuil mêlé de remords. Il avait été pour beaucoup dans cette déplorable destinée. Un moment, il pleura à faire croire qu'il étoufferait. Saint-Simon l'enleva avant qu'elle expirât (la nuit du 21 juillet). Il se chargea des funérailles, qui furent sans pompe et simplement décentes. Madame de Saint-Simon eut la lugubre fonction d'assister à l'ouverture du corps, où la pauvre princesse fut trouvée, comme j'ai dit, enceinte et le cerveau fêlé.
On supposait le Régent écrasé. C'était peu le connaître.C'était un homme fini, blasé, vide, épuisé de cœur, aussi bien que du reste. Il n'avait pas d'ailleurs le droit de pleurer. La mère même de la morte, Madame d'Orléans, les yeux rouges (mais au fond ravie), le supplia de ne pas s'enfermer. Il fit ouvrir les portes, reçut tout le monde. Il tint le Conseil, et donna à Law les Arrêts nécessaires pour faire face à ses ennemis.
Duverney, Argenson, la compagnie des Fermiers généraux, ce qu'on appelait l'Anti-Système, ne se contentaient pas d'attaquer le Système avec ses propres armes en émettant aussi des actions. Ils s'étaient, sans scrupule, associés à un monde singulier d'étrangers qu'on ne voyait jamais, qui travaillait par agents et prête-noms. C'étaient des Anglo-Hollandais, qui de leurs trous obscurs, sans bruit, faisaient sur les monnaies de très-fortes opérations. Profitant des variations violentes qu'elles subirent, ils guettaient les moments, raflaient, exportaient à grand profit. Leurs maîtres, gros banquiers de Londres et d'Amsterdam, qui allaient faire jouer leur compagnie du Sud (superbe pompe à pomper dans les poches), les chargeaient de miner par tous moyens notre Compagnie des Indes, en poussant à la baisse contre Law, aidant Duverney.
Law n'en ignorait rien. Il avait les yeux très-ouverts, et, pour se tenir en mesure d'abord contre les marchands d'or, il se fit donner pour neuf ans la fabrication des monnaies (20 juillet). Le 21, le 22, le 23, justement au moment du grand deuil du Régent où sans doute l'on crut que le Conseil chômait, l'Anti-Système, aidé de ses Anglais, tenta un
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