Histoire De France 1715-1723 Volume 17
alors que je vois un des agents de Law, la Chaumont, la grande hôtesse de la Bourse, recevoir chez elle, près de Paris, tout le peuple des agioteurs. Prodigieux festins qui ne purent guère se faire que sous le ciel.
«Pour un seul jour, un bœuf, deux veaux et six moutons.» (Ms. Buvat.)
Où est Law pendant ce temps-là? En suivant ses démarches dans le Journal de la Régence , on le trouve partout où il est inutile. Il va, vient, il s'agite. Est-ildevenu fou? Est-il un mannequin qu'on drape à la royale pour s'en servir et s'en moquer? Il semble qu'il détourne les yeux de la scène de honte, d'effronté filoutage.
Il ne voit pas la Banque. Distrait et ridicule, il semble l'Arlequin de ce grand carnaval.
Où est-il aux jours décisifs où le Système proclamé va s'appliquer, sera une réalité, ou une infâme illusion?
Il s'en va au Jardin des Plantes, à la Salpêtrière, et dit aux directeurs de ce grand hôpital: «Je vous donne un million. Cédez pour le Mississipi quelques centaines de vos filles; je me charge de les doter.» (Septembre.)
Chose grotesque. Les tout-puissants voleurs, princes, ducs, etc., l'obligent, de minute en minute, d'acheter des fiefs, des terres titrées, ridicules, inutiles à un homme de sa sorte, et cela à des prix insensés.
Les millions lui coulent comme l'eau. Il est duc en Mercœur, il est duc en Mississipi, etc.
Et en même temps, il fait ici le prévôt des marchands, le lieutenant de police. Il a l'esprit aux vivres de Paris, ne songe à autre chose.
Son cœur est à la viande, il ne dort pas de ce qu'elle est trop chère. Il convoque chez lui les bouchers, et les gronde. «La viande à 4 sous! dit-il, cela ne sera plus. Je me chargerai, moi, de la vendre à un autre prix!»
Voilà un homme étrange. Si on le pousse un peu, il va se faire boucher. Cela manque à ses titres. Que luisert d'être partout en France comte, duc et que sais-je? un vrai marquis de Carabas? Pour honorer la Bourse, la réhabiliter et lui gagner le peuple, il faut qu'il soit roi de la halle.
Roi de tout, roi de rien, de vide et de risée. [Retour à la Table des Matières]
CHAPITRE XIII
LAW VEUT S'ENFUIR. ON LE FAIT CONTRÔLEUR GÉNÉRAL
Novembre-Décembre 1719.
Quel était l'intérieur de Law? Si on le savait mieux, bien des choses obscures s'éclairciraient. Ce qu'on en sait, c'est que cet homme, jeune encore, tellement en vue et observé, fut en vain obsédé, poursuivi d'une foule de femmes, vives et jolies, terribles. Il ne vit rien. La belle réputation de galanterie qu'il avait apportée, disparut tout à fait. On maudissait ce farouche Hippolyte, qui semblait tout entier à la grande chasse des affaires.
En réalité, le roman, la tragédie d'amour, cette beauté étrange qu'il avait enlevée, pesaient sur son foyer. Le temps n'y faisait rien. Elle le gouvernait comme un amant, comme un complice. J'ai dit combien elle tenait à la fortune. Elle avait sujet d'êtresatisfaite. Dans sa position équivoque (non mariée?) elle voyait les princesses et duchesses, bien plus, les vertueuses, lui faire une humble cour. Son fils dansa avec le roi. Le nonce raffolait de sa fille, la caressait, jouait à la poupée.
Madame Law était dans l'empyrée. De si haut, elle apercevait à peine encore la terre, prenait en pitié les mortels, mais son mari surtout. Le brillant duelliste alors ne se ressemble guère. Aujourd'hui il est effaré. Au fort de son succès (novembre), il pose, inquiet et léger, comme un lièvre au sillon, qui flaire, écoute aux quatre vents. À peu ne tient qu'il ne s'envole.
Instinct miraculeux. Il entend la pensée, tout ce qu'on ne dit pas encore. Sous la terre, rien ne bouge, tout va bouger. Les rats ne sont jamais surpris sous le sol qui doit enfoncer. Vous verrez, en décembre, ces intelligents animaux, prudents réaliseurs , laisser tout doucement le Système, déserter le papier, chercher les solides maisons, les bons biens patrimoniaux.
D'autre part, Law attend un terrible assaut des Anglais. Leur guerre (dès qu'ils n'ont plus besoin de nous contre l'Espagne) va tourner contre le Système. Or le Système, qu'est-ce? un homme, on le sait, un homme mortel. Son attrait, trop puissant, intéresse à sa mort. Adoré comme César, il peut finir comme lui. Qu'il eût été béni de la banque étrangère, le hardi patriote qui se serait fait son Brutus! La baisse effroyable et subite qui eût eu lieu, l'énorme pression qu'auraient exercée des milliards de papier
Weitere Kostenlose Bücher