Histoire De France 1715-1723 Volume 17
aura-t-il l'action en échange? Il se précipite à la Banque, même foule. Il se trouve à la queue immense qui suit toute la rue de Richelieu, et des derniers peut-être. Le public non rentier a eu, certes, le temps de passer devant lui, n'ayant à remplir aucune formalité préalable.
C'est l'odieuse vue qui nous frappe, ce qui se passe en pleine rue. Mais si l'on voyait les coulisses; si l'on voyait, la nuit ou le matin, ce misérable serf, Law, chapeau bas, donnant, offrant à ses tyrans, les actions qui sont le pain et la vie du rentier, si l'on voyait la meute des vampires et harpies titrées, que ne peuvent éconduire les besoins les plus indécents;—si l'on voyait à l'aube, aux bougies pâlissantes des soupers du Régent, ses malpropres Circés sur lesquelles il roule ivre, le fouiller, le dévaliser,—cet ignoble pillage ferait bondir le cœur, on serait obligé de détourner la vue.
Le 22 septembre, pourtant, Law eut horreur de ce qui se passait. Il fit décider par la Compagnie (et contre l'arrêt du Conseil) qu'on ne donnerait plus d'actions pour or ni pour billets, mais uniquement en échange des récépissés des rentiers; autrement dit que les actions rentières, selon son plan, son but, seraient réservées aux créanciers de l'État.
Insistons sur ceci, Forbonnais l'a bien dit: «Il fut arrêté à la Compagnie » (non au Conseil). L'excellent historien du Système, M. Levasseur, a vérifié aux Archivesqu'il n'y eut nul arrêt du Conseil. Donc, la Compagnie seule a l'honneur de cette mesure.
Elle n'aurait jamais hasardé un tel acte contre les Arrêts du Conseil sans l'aveu du premier des actionnaires, de son président, le Régent. Ce prince, qui libéralement comblait d'actions les membres du Conseil, M. le Duc, le prince de Conti, etc., ne croyait pas leur nuire en fermant le bureau à la foule des agioteurs. Mais ce qu'il leur donnait de la main à la main n'était rien en comparaison des profits qu'ils faisaient par leurs prête-noms dans les hausses et les baisses, les secousses violentes, habilement calculées, de l'agiotage. Ainsi, les 17 et 18, en pleine hausse, par une manœuvre inattendue et meurtrière, on organisa pour deux jours une baisse subite; l'action qui était à 1,100 livres, tomba à 900. Même coup de bourse au 14 décembre. À chaque fois, de cruels naufrages, des désespoirs et des suicides ( Ms. Buvat ). Voilà le profitable jeu qu'il fallait continuer.
Ajoutons que si les princes, se contentant de voler seuls, avaient exclu les autres, rejeté dans la rue la longue file des agioteurs, ils se seraient trop démasqués; leur épouvantable fortune eût été trop au jour. Il leur était plus sûr de ne pas gagner seuls, d'avoir derrière eux pour réserve l'armée de la Bourse, d'être appuyés du monde des banquiers, courtiers et joueurs.
Leur chef, M. le Duc, pesait sur le Conseil. Un arrêt du Conseil, le 25 septembre, rouvre la vente des actions, interrompue trois jours. Ces actions (le bien des rentiers), on peut les vendre à tout venant pour des billets de banque . Dans ce cas, les acheteurs payerontun droit de dix pour cent, que le rentier ne payerait pas; avec les bénéfices énormes qu'ils faisaient, cela ne les arrêtait guère.
Donc la vertu de Law avait duré trois jours. Le rentier, désormais sacrifié à l'agioteur, fut refoulé dans le désespoir; tous passaient avant lui. Le Trésor lui faisait sa liquidation lentement; lentement on lui délivrait le reçu nécessaire. Quand il avait passé deux nuits, trois nuits à camper dans la rue, il était prêt à jeter tout. Les besoins aussi se faisaient sentir, et beaucoup ne pouvaient attendre. Là surviennent à point des gens compatissants pour le conseiller ou l'aider. Que ne vend-il ses titres? Il se rend et vend à vil prix.
C'en est fait. Et l'avenir même dès lors lui est fermé. On aura beau émettre de nouvelles actions en faveur des rentiers, il n'est plus le rentier. On arrive en son lieu avec les titres qu'il a donnés pour rien. Les grands voleurs, princes, ducs et banquiers, se présentent hardiment comme créanciers de l'État. Va donc, va à la Seine! ou mourir sur la paille!
Successeur du rentier, bien armé d'actions, fort d'un gros portefeuille, le joueur peut se lancer à la Bourse. Les rois de la coulisse qui font les Arrêts du Conseil, qui dominent la Compagnie, qui, par les nouvelles d'Espagne ou de Londres, machinent tous les jours les variations de demain, enfin qui font
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