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Histoire De France 1715-1723 Volume 17

Histoire De France 1715-1723 Volume 17

Titel: Histoire De France 1715-1723 Volume 17 Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Jules Michelet
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se foulait aux pieds les uns les autres pour arriver à toucher un petit billet de dix francs. Dans cette furie de misère, on s'occupait bien peu de ce qui se passait au Midi. L'herbe poussait sur les quais de Toulon, et dans son arsenal; on vendait pour le bois les vaisseaux de Louis XIV. Sous Colbert et sous Seignelay, il y avaitlà un mouvement immense. Un argent énorme y passait. Tout cela tarit. En même temps, notre marine marchande, notre commerce du Levant, si naturel à ces contrées, et qui, à travers tout événement, durait depuis le Moyen âge, fut assommé d'un coup. En vain Marseille fut déclarée port franc. Partout, à Smyrne, à Constantinople, en Égypte, nos adversaires nous avaient remplacés, fournissant à bas prix ce que ne donnaient plus nos fabriques ruinées par la Révocation.
    Mal durable et définitif. Marseille, énormément grossie et encombrée, plus qu'une ville, un peuple tout entier, resta là dans sa cuve et dans son port fétides, sans plus savoir que faire, macérée de famine, de misère, de la malpropreté croissante qu'engendrent l'inertie, l'abandon. De là un foyer permanent de maladies. On y était habitué. Le long de 1719, disent les médecins de Montpellier, la peste régnait à Marseille et personne n'y songeait. On mourait fort tranquillement. Plus fatalistes que les Turcs, nul n'essayait, comme eux, de prévenir le mal par des cautères ou des sétons. En juin 1720, l'état sanitaire empira du surcroît de misère que produisit sur cette place la débâcle financière de Paris. C'est alors qu'un navire marchand qui arrivait de Smyrne aurait, dit-on, apporté la contagion.
    Le Nord est tout entier à sa peste morale, à la misère, aux soucis, à la peur. Dès deux ou trois heures de nuit, les pauvres gens arrivent à la porte du jardin de la Banque (du côté de la rue Vivienne), attendant leur payement, leur pain. Foule énorme. Dès le2 juin, il y eut là des gens étouffés; le 3 encore, deux hommes et deux femmes étouffés. Le 5, on enfonçait les portes, si la troupe n'eût chargé. Pour payement, on donna du feu aux affamés.
    La Compagnie était-elle ruinée? Avait-elle mal géré? Nullement. Le 3, Law, au fond de cet hôtel si menacé, dresse un bilan, et comme un testament. Il prouve que la Compagnie est très-riche, a des ressources immenses, mais ses trésors de marchandises dispersées, mais ses terrains à vendre, mais ses trois cents navires, ne mettent pas dans la caisse de quoi apaiser cette foule.
    Le 5, devant ces scènes affreuses, cette espèce de siège que soutenait la Banque, il regarda sa femme comme veuve, et pour elle obtint du Régent, non faveur, mais restitution, le titre d'une rente exactement proportionné au capital qu'il avait apporté en France, «rente qui ne pourrait être saisie pour aucune cause» ( lettre de madame Law , 5 avril 1727). Ainsi, nul bénéfice, nul avantage stipulé. Pour cet immense effort de cinq années, il ne réclamait rien.
    L'honneur de Law était relevé, sinon sa caisse. Le Régent voyait trop les fruits du beau conseil de d'Argenson. Dubois sacrifia celui-ci, se lava de complicité eu se chargeant de le punir. Lui-même il alla lui ôter les sceaux. Law, réhabilité, eut l'honorable charge d'aller (le 7) à Fresnes chercher, rappeler le bon chancelier d'Aguesseau, dont le nom, synonyme d'honnêteté, donnerait espoir au public, plairait au Parlement, ferait bien au crédit. Ce que l'on pouvait craindre, c'est que le digne janséniste hésitât pourvenir orner le triomphe des ultramontains, la chute de l'Église gallicane, la farce impie du sacre de Dubois. Law fut persuasif et d'Aguesseau faiblit. Comme Law, il était père de famille, et sa famille s'ennuyait de l'exil. Il revint juste à point pour voir les noces de Gamache que Dubois fit pour célébrer son sacre (9 juin). Des miracles s'y virent, de dépense et de mangerie. Une poire coûtait trente livres. Toute la cour et tout le clergé mangeait, buvait, riait. L'humanité frémit. L'effrontée bacchanale qui eut lieu au Palais-Royal s'entendait au jardin funèbre, dans cette Banque à sec où l'on s'étouffait à deux pas.
    Juillet fut un mois de terreur. Barbier et Buvat font frémir. Buvat, comme employé de la Bibliothèque du roi, vit de bien près les choses, entrant tous les jours par cette terrible porte. Le jardin menait d'une part à la Bibliothèque, de l'autre à la galerie basse où étaient les bureaux, la caisse de la Banque.

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