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Histoire De France 1715-1723 Volume 17

Histoire De France 1715-1723 Volume 17

Titel: Histoire De France 1715-1723 Volume 17 Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Jules Michelet
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toile légère et pauvre chiffon, que le vent va plier, crever, rouler, on ne sait où.
    Après sa mort, un burin véridique (de la belle galerie Restout) donne la triste réalité. Là il fait peine. Il est fort sombre, fort lourdement bouffi, avec de gros yeux injectés, saillants et pleins de sang, qui vous disent: «Je mourrai bientôt.»
    C'est justement cela, je crois, c'est ce besoin de faire dépit à la nature, de démentir la mort prochaine, qui lui fait faire le galant, l'amoureux. Ainsi, au momentmême où il est pauvre au point de ne plus payer les domestiques de sa mère, il bâtit à Auteuil une petite maison . Et pour qui? pour une maîtresse qu'il a depuis longtemps, dont il a assez, plus qu'assez, son habituée, la Parabère, qui a souvent la sinécure de passer la nuit avec lui.
    Il se pouvait fort bien qu'il mourût dans ses bras. La peur qu'elle eut, en voyant un de ses domestiques mourir subitement, la décida. Elle déclara vouloir se convertir, se retirer. Le même mois, il en achète une autre, une jeune femme que le mari lui vend. Sans voir, sans aimer, il achète. C'était une petite noiraude, déjà fanée, les seins pendants, mais moqueuse, rieuse, impudente. Pour un si digne objet, on ne peut faire trop de folies. Sur la Seine, devant Saint-Cloud, c'est-à-dire par-devant madame d'Orléans, il fait pour la coquine des illuminations et des feux d'artifice. Tout Paris y va, indigné, mais curieux, voulant voir «si le tonnerre de Dieu y tombera.» Curiosité fatale aux paysans; la foule marche dans leurs blés, dans leurs vignes. Avec tout ce bruit, cette dépense, il est si peu épris qu'au moment même il a un autre objet en tête. Un grand seigneur, joueur, panier percé, voudrait bien lui vendre sa nièce. C'était l'écuyer du roi, Sainte-Maure, cousin des Montespan, du duc d'Antin. «Que ne me parliez-vous? dit-il. Je vous aurais donné l'amour même.—Pourquoi pas?—Impossible. Maintenant elle est religieuse. D'ailleurs, dit-il en vrai marchand, elle est de grande condition. C'est ma nièce ...» Cela toucha juste. Le couvent était loin, du côté de Rhodez. On lance une lettre de cachet pour en tirer la fille etla remettre à M. le curé de l'endroit, qui veut bien se charger de la conduire à Paris chez son oncle, aux Écuries du Roi. Comme une mule ou un cheval d'Espagne, de ce fond du Midi à travers toute la France, elle est amenée par l'obligeant pasteur. Entre lui et son oncle, la pauvre nonne, intimidée, d'autant plus belle, est longuement lorgnée par le myope. Pour rien heureusement. Soit qu'il eût pitié d'elle, soit qu'il se sentît froid, indigne d'un si jeune amour, il laissa aller l'innocente.
    Il n'était pas méchant, et même à cette époque où il était tombé si bas, tellement matérialisé et incapable de tout bien, il n'eût pas goûté un plaisir cruel, n'eût pas fait pleurer une fille. En cela, il ne fut nullement du temps qui finit la Régence, temps âprement corrompu et cruel qui appartient déjà à l'époque de M. le Duc. Il aurait voulu être aimé. Il l'espéra deux fois, dans la réforme de Noailles et dans l'utopie du Système. Deux fois il retomba.
    Mais, quelque indifférent qu'il parût être à tout, faisant la sourde oreille à la haine publique, il se jugeait fort bien. Une fois, à table avec Dubois, comme on lui donne un papier à signer: «F. royaume! s'écrie-t-il. Il est bien gouverné! par un ivrogne et un maquereau!» [Retour à la Table des Matières]
CHAPITRE XIX
MANON LESCAUT.—MORT DE WATTEAU
1721
    Nous ne pouvons passer sans dire un mot d'un petit roman d'importance, de popularité immense, Manon Lescaut . Le siècle de Louis XIV n'a pas de tels livres populaires. Il ne faut pas croire que la masse inférieure lût les tragédies de Racine. Dans les livres de dévotion, pas un n'a le succès de se faire lire de tous. Les sottes éjaculations de Marie Alacoque se répandent, mais dans les couvents.
    Voici un livre populaire. Grand, très-grand événement. Il ne paraît qu'en 1727, mais il est certainement écrit, ou du moins commencé, vers le temps qu'il raconte, vers les cruelles années des enlèvements pour le Mississipi, quand la douloureuse aventure était toute brûlante encore. C'est bien moins un roman qu'une histoire, une confession.
    Il n'y a jamais eu un tel succès de larmes. Nulle critique;on n'y voyait plus. Les hommes mêmes pleuraient. Les femmes lisaient et relisaient. Les filles dévoraient en cachette.

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