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Histoire De France 1715-1723 Volume 17

Histoire De France 1715-1723 Volume 17

Titel: Histoire De France 1715-1723 Volume 17 Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Jules Michelet
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avait eu Manon. Il eût fort aisément endossé des misères qui alors faisaient peu de tort à l'homme de qualité . Mais il ne le pouvait. Il était prêtre. Il avait été moine. C'est sa robe qu'il a respectée.
    Prévost est à peu près de l'âge de son chevalier. Un peu avant le siècle, il naît sur la lisière d'Artois, de Picardie, et pas bien loin des lieux où naît Watteau. L'un d'Hesdin l'autre de Valenciennes. Deux grands peintres, qui, d'un art différent, feront tous deux Manon Lescaut.
    Prévost naquit en plein roman, dans ce pays où les séminaires irlandais élevaient tant de têtes chimériques, d'apôtres intrigants, pour les aventures d'Angleterre. Esprit charmant, facile, faconde intarissable, tête chaude et quasi irlandaise. Toute imagination. Il en fut dupe toute sa vie. Ses maîtres, les jésuites, qui l'aimaient fort et qu'il aima toujours, auraient bien voulu le tenir. Il était trop léger. Il se croyait bon gentilhomme (étant le fils d'un procureur du roi). Il servit. Il aima. Tout jeune (1721), l'année même où son chevalier est converti par la mort de Manon, nous voyons Prévost converti de même chez les Bénédictins. Il y reste encapuchonné (non sans regret) quelques années, compilant tristement la Gallia christiana . Mais, près du gros volume, il en écrit un autre bien petit (devinez lequel). Brûlant secret qu'on ne peut garder guère. Ce rêve, et bien d'autres encore, de vie folle et mondaine, il les contait indiscrètement. Le soir, il ramassait des moines dans certain petit coin. Il les tenait là fascinés. Il contait, il contait, sans pouvoir s'arrêter, et cela durait jusqu'au jour.
    Sa fuite du couvent, en 1727, le divorça d'avec le fatal manuscrit. Quand l'oiseau envolé plana aux vertes plaines de la libre Angleterre, il ne put plus tenir cette Manon . Elle aussi s'envola, publiée comme unépisode d'un long roman. Elle emporta, ce semble, une bien grande partie de lui-même. Car depuis, il resta un écrivain facile, agréable, diffus, délayant, et bref, peu de chose.
    Il a du papier, une plume, mais nul plan devant lui. Telle sa vie, tels ses livres. Il n'a jamais prévu. Il va, flotte; c'est le cours de l'eau. D'homme d'épée, moine et défroqué, romancier et prédicateur, traducteur et compilateur, journaliste, auteur à gages, par tous pays et tous métiers, il va et ne peut s'arrêter. Souvent amoureux, souvent converti, à l'église, au cloître, au grenier, ermite, ou presque marié avec une belle Hollandaise qui l'enlève un matin. Ce qu'il a de plus fixe, c'est un certain attachement à ses bons Pères, à ses bons moines, à tant de bons abbés. Tout le clergé est bon. Son imagination douce et charmante ne lui laisse voir partout que l'excellent Tiberge du roman, ce héros de vertu, d'amitié, il est si prévenu, qu'il donne les mêmes traits au chef de la rude maison où jouait tant le nerf, au supérieur de Saint-Lazare. (Voir plus haut mon Louis XIV .)
    Son chevalier est-il tout à fait sans principes? Non. Qu'il s'en rende compte ou non, il en a deux. L'un: qu'un homme né , élevé chrétiennement, peut toujours revenir de ses échappées de jeunesse, qu'il peut aller fort loin sans danger du salut. L'autre, le principe galant: «Que l'amour excuse tout, qu'un véritable amant a le droit de tout faire.» Avec ces deux idées, rien n'embarrasse Prévost. Il court bride abattue, va des deux pieds dans le ruisseau.
    Nous ne sommes plus de cette force. Nous ne supportonsplus l'aisance avec laquelle le chevalier, sans s'étonner, entre dans une bande d'escrocs. Nous ne digérons plus «ses longues manchettes,» propres à filer la carte. Encore moins sa résignation à faire «le petit frère de Manon,» le naïf et le niais, devant l'entreteneur qu'on veut plumer. Je ne dis rien de l'homme tué, petit assassinat sans conséquence, fait si vite qu'on n'y songe plus. Il est vrai, ce n'est qu'un portier.
    Les critiques ont été, disons-le, étonnamment faibles, j'allais dire lâches, pour Manon. Cent ans après, elle corrompt encore, et les hommes contre elle ne gardent pas leur jugement. Un d'eux nous dit qu'après que bien des livres auront passé, elle reparaîtra «dans sa fraîcheur .» C'est justement là ce qui manque. Prévost qui la montre adorée, et veut la rendre séduisante, lui fait maladroitement dire, écrire des choses basses qui la fanent trop. On sent ici les mœurs, les habitudes du prêtre. Il n'a pas connu les nuances, n'a

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