Histoire De France 1724-1759 Volume 18
ne demandait pas mieux que d'étouffer l'affaire. Il eût donné sans peine une lettre de cachet, qui, en exilant l'homme, l'aurait éloignéde la Grève. Pendant les pourparlers, juin vient, et le grand coup est frappé à Versailles.
Gesvres, jaloux de la Trémouille, avait précipité les choses, dénoncé les petits mystères. On frappa, mais bien doucement, en rendant seulement les polissons à leurs familles, exigeant qu'on les mariât (comme le Régent avait fait aux petits Villeroi). Le roi n'objecta rien pour le tant aimé la Trémouille. Il rit de le voir humilié, marié. La Trémouille, au contraire, trouva le châtiment si dur que, huit années durant (et quoi que pût dire son beau-père) il tourna le dos à sa femme.
Cet événement fut le salut du roi. M. le Duc l'emmène, change ses habitudes, le tient au grand air, au soleil. Bref, il le fait chasseur. Il lui donne quarante ans de vie. L'affaire devait, ce semble, perdre Fleury en dévoilant sa connivence. Il n'en fut pas ainsi. On le comprend fort bien par les mots durs que dit Marais sur le rôle inférieur et fort triste du roi. Ce fut précisément par là que le maître de ces secrets, Fleury, resta fort, immuable, ainsi que Bachelier, qui, non moins immuablement, resta aussi jusqu'à sa mort.
Un vieux valet de chambre du duc de Bourgogne, Bidaut, allant voir un jour l'abbé Vittement dans sa retraite, lui parlait de Fleury. Mais il se tut d'abord. Pressé enfin, il dit tranquillement: «Sa toute-puissance durera autant que sa vie. Il a lié le roi par des liens si forts que le roi ne les peut jamais rompre. Je vous expliquerai cela, si le cardinal meurt avant moi [6] .»
Le roi reviendrait-il de cette belle éducation? Ferait-il grâce aux femmes? aurait-il quelque amour naturel et humain? Dans les fêtes de Chantilly, des dames très-charmantes se vouaient à cette œuvre. Mais leurs grâces, leur scintillation l'éblouissaient, lui déplaisaient. Il avait l'air lui-même d'une fille bégueule, qui n'y eût vu que des rivales.
Que faire donc? sans doute, ce qu'on a fait pour la Trémouille, bon gré mal gré le marier. L'infante était l'obstacle. Cependant une maladie courte et grave qu'il eut (février 1725) trancha tout. M. le Duc, effrayé et désespéré, jura de renvoyer l'infante et de le marier sur-le-champ. Fleury bouda, mais seul. Villars et tout le monde étaient de cet avis.
En brisant l'œuvre des Jésuites, le mariage espagnol, on les ménageait cependant. On prit une reine de leur choix. Rohan, évêque de Strasbourg, avait sous la main en Alsace la famille du roi sans royaume, Stanislas, retiré chez nous. On fit valoir sa fille, fille dévote d'un père si dévot que, par plaisir, dit-on, il faisait ses dévotions en robe, en bonnet de Jésuite. Cela n'attira pas, ce semble, les célestes bénédictions. Sur la route, la pauvre princesse reçut un déluge de pluie comme on n'en vit jamais. Misère, malédiction, famine. Rien de plus triste. Une funèbre convoi.
Tout retombait sur Duverney. C'était lui qui faisait pleuvoir en touchant aux biens du clergé. D'après lesidées de Vauban, il voulait lever une dîme sur tous , clergé, peuple, noblesse (faible dîme du cinquantième). Refus universel. Les Parlements, les États de province, répondirent un non furieux. Le paysan reçoit les collecteurs à coups de fourche. On eût voulu que Duverney, au début de l'impôt nouveau, avant d'en rien tirer, abandonnât tout autre impôt.
Les grains sont chers. Quoique l'on donne le pain ici à moindre prix, on fait queue, on crie, on se bat et il y a des hommes tués. Le bureau très-utile créé par Duverney pour juger des récoltes, du mouvement des grains fait crier: À l'accapareur!
Son beau projet sur la Milice, ses lois (dures, il est vrai) pour faire travailler les Mendiants, tout exaspère. Mais ce qui le noie et le tue, lui et madame de Prie, c'est l'ordonnance des pensions, toutes celles du roi supprimées, celles du Régent réduites, etc. Dès lors ils sont perdus, osant à peine encore se montrer à Versailles, y rencontrant partout des regards furieux.
Pour eux, nul appui que la reine, qui elle-même a fait à Versailles un parfait fiasco . Quelque conte ridicule qu'on nous fasse de la nuit des noces, les valets intérieurs voyaient et révélaient ce mariage sans mariage. La jeune femme de vingt-deux ans, douce et laide et le sachant bien, tremblante, quoique fort amoureuse, a peur de cet enfant si sec, si
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