Histoire De France 1724-1759 Volume 18
changé le monde. D'elles vint l'affreux malentendu qui tua la Pologne et (malheur exécrable) exhaussa la Russie [8] !
Les Polonais avaient sous leur protection une ville marchande, celle de Thorn. Ville, certes, non méprisable; c'est la ville du fameux traité qui fit les libertés du Nord, c'est la ville de Copernik. Les gens de Thorn,quand ils s'affranchirent des moines militaires, et se réfugièrent sous les lances de la Pologne, obtinrent du noble peuple un privilège très-grand: de vendre sans payer de droit dans toute l'étendue du royaume. Ce peuple, généreux, d'admirable hospitalité, recevant tous les exilés, était le seul qui eût écrit la tolérance dans ses lois ( Pacta conventa ). Tout son Sénat alors (moins un membre) était protestant. Les choses terriblement changèrent, lorsqu'au XVII e siècle les Suédois protestants envahirent trois fois la Pologne. Blessée en son orgueil, elle fut presque entière catholique. Très-difficilement les Jésuites s'y étaient introduits, mais ils y réussirent. Ils tentèrent les familles par les humanités, l'éducation française, et peu à peu ils eurent les enfants des seigneurs. Les belles Polonaises se prirent fort au roman dévot. Hardies, chimériques et charmantes, comme elles sont, elles emportèrent tout. La galante Pologne mit la femme sur son drapeau. La Vierge volait aux batailles en tête de sa cavalerie. Cependant les villes marchandes, allemandes de fond, Thorn, Dantzig, etc., n'eurent rien de ces folies, restèrent fort protestantes, et fort suspectes d'aimer l'étranger protestant. Les Jésuites parurent faire une œuvre polonaise en s'y introduisant,—rien d'abordqu'un petit Jésuite pour aider tel curé, puis deux, puis une école, un collège, pour élever de jeunes nobles. Ceux-ci, fiers, jeunes gens, escrimeurs, querelleurs, se moquant des marchands de Thorn, paradaient l'épée au côté. Minorité minime, ils trouvaient beau de faire procession avec leur Vierge, contre un grand peuple luthérien. Tout ce que firent les jeunes protestants, ce fut d'enfoncer leur chapeau. On les leur jette à terre (juillet 1724). Les Jésuites ont ce qu'ils voulaient. Le magistrat ayant arrêté un provocateur, ils osent en faire autant, comme s'ils eussent été magistrats. Plus, la bande guerrière des écoliers armés tombe sur les gens qui regardaient. Des hommes forts se trouvaient dans le peuple, un charpentier, un maçon, un boucher. Ils forcent le collége, enfoncent et cassent tout, tables et bancs, deux autels. La Vierge querelleuse qui a fait la bataille, est traînée, punie, mise au feu.
Mais cette Vierge, c'est le drapeau de Pologne! Outrage national!... Les Jésuites à cela ajoutent un argument terrible: que si Louis XIV a bombardé, écrasé Gênes pour avoir outragé Sa Majesté humaine, à plus forte raison la Majesté divine outragée doit écraser Thorn. Elle exige la mort des coupables, des magistrats même.
Cela fit impression. Cependant le haut tribunal trouvait que la mort, c'était trop. On dit à plusieurs membres qu'ils n'avaient rien à craindre, qu'on ne pouvait faire la chose qu'autant que les Jésuites jureraient , ce que des religieux ne peuvent faire en matière criminelle. Invité à jurer, le Jésuite recteurs'excusa, par ce mot du droit canonique: «L'Église n'a soif de sang.» Mais il fit signe à un frère de son ordre, qui n'était pas profès encore, de se mettre à genoux et de jurer pour lui. Autre illégalité: on paya six coquins, non bourgeois de la ville , qui jurèrent tout ce qu'on voulut.
Le Roi pouvait faire grâce. Mais ce Roi toujours gris (c'était Auguste l'Allemand) n'osa faire grâce aux Allemands, grâce d'une insulte faite au drapeau polonais. Il en sauva un seul, et but un coup de plus. Donc les Jésuites purent agir à leur aise. La mort leur parut peu. Ils tinrent longtemps la proie entre leurs griffes, les lancinant jusque sur l'échafaud d'instances et de chicanes pour les faire mourir catholiques (décembre 1724).
Avant l'exécution, la Prusse était intervenue, avait menacé même, fait approcher des troupes. Imprudence qui hâta les choses. On rit de cette petite Prusse, de son roi, le grand grenadier . On rit de cette petite Suède, épuisée, alors un néant. Cependant la grosse Angleterre prit aussi la parole, et le Hanovre, et le Danemark, et la Hollande, et la France même (du duc de Bourbon). Tout cela grave, immense, mais lent, sans action. Que fût-il advenu si les
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