Histoire De France 1724-1759 Volume 18
voulaient éclairer et améliorer.
Cette situation alarmante rendait force à Machault et à la Pompadour, au prince de Conti, aux modérés. Elle condamnait les fanatiques, le Dauphin et Madame, leur ministre Argenson cadet. Le Roi le sentait bien. Il lança au Conseil un mot qui put faire croire qu'il changeait de parti, un mot prudent, craintif, pour ménager les protestants ( Peyrat , I, 419). Le cœur du Dauphin dut saigner.
Une chose inquiétait non moins directement, une chose furtive, qui pouvait changer tout. Aux combles de Versailles, le Roi cachait et nourrissait, comme un animal favori, non chat ni chien, mais une fille. Joli tour de la Pompadour, au moment où Madame l'outra et la poussa à bout. La chose avait été menée adroitement, et d'abord chez la Reine. La Reine s'amusait à faire peindre chez elle Boucher pour une Sainte Famille. Boucher qui méprisait son art, allait droit au succès par les plus bas moyens, les effets sensuels. Il menait avec lui deux petits anges gras, qui lui fournissaient les chairs roses, lourdes, de ses tableaux. C'étaient les deux Murphy, potelées Irlandaises, dont l'une publiquement posait à l'Académie de peinture. Leurs plus secrets appas sont étalés partout, avec des postures hasardées, dans ses fades etfaibles tableaux. Aucune gentillesse. Sots bébés, sans regard; moins bergères que moutons, d'imperceptible bouche qui ne semble que bêler. En cela même on calculait très-bien. Le Roi, las de l'esprit, n'aurait jamais pris une dame. Il lui fallait des sottes, des muettes, de petits bestiaux. Celle qui posait chez la Reine lui alla fort; il la vit et revit, lorgna, sans que la Reine y voulût prendre garde, remettant tout à Dieu, et peut-être pensant (pour le salut du Roi) que c'était un moindre péché.
Autre mystère. Le Roi, plusieurs fois par semaine, en ses plus secrets cabinets, recevait le prince de Conti. Que disait-il? On ne le savait trop. Esprit libre et hardi, inquiet, ambitieux, visant au trône de Pologne, il était anti-Autrichien, anti-Saxon, voulant remplacer le Saxon, le père de la Dauphine, donc étant ennemi personnel du Dauphin. On le croyait athée, parce qu'il aurait voulu donner aux Protestants l'existence civile, le droit de naître et de mourir. Cela ne plaisait guère au Roi. Pas davantage les deux choses que lui prêchait aussi Conti, l'alliance avec Frédéric, l'accord avec le Parlement. Au fond, il agit peu. Mais il amusait fort le Roi par certaine police secrète qui lui livrait les anecdotes, les scandales des cours étrangères.
Conti avait pour lui la nécessité évidente. On ne pouvait rester désarmé devant l'Angleterre, si horriblement forte (cent vaisseaux, cent frégates!). Il fallait de l'argent, donc ramener le Parlement, le flatter, le leurrer. Comment? en chassant les ministres du coup d'État, revenant à Machault, et prenant au clergéplutôt que d'écraser le peuple. Cela était logique, humain et naturel. La cabale dévote ne put barrer ce coup que par un autre coup, impie, contre nature.
Elle sauta le saut périlleux. Dans ce cabinet même où le Roi avait ses secrets, au fond de son appartement, elle mit un témoin, un gardien, qui en répondit.
Aux fêtes de Noël, avant le nouvel an, madame Adélaïde décida qu'elle occuperait le petit logis chez le Roi, qu'on préparait depuis deux ans. Elle s'y établit le 27 décembre 1753 ( De Luynes ).
S'il s'était peu pressé, ce semble, de l'y mettre, c'est qu'en réalité il sentait qu'il aurait un maître et qu'il ne serait plus chez lui, au seul lieu sûr qu'il eût. Là étaient les mystères d'État et ceux de la famille. Là la fameuse garde-robe où jadis il s'enferma, pleura (1720 et 1726). Dernière, unique liberté, dans la servitude des rois, refuge d'enfance et de faiblesse. Aujourd'hui il perdait cela. Il se trouvait en face d'une ardente personne, armée de ses vingt ans, de volonté terrible, qui le ferait vouloir, se ferait obéir. Il savait bien en être (plus qu'aimé) adoré. Mais avec tout cela il sentait le Dauphin derrière. Elle, naïve et courageuse, n'en faisait pas mystère. Tous les jours, vers le soir, elle allait chez son frère ( Luynes , XI, 5), recevait le mot d'ordre.
Le roi le voyait bien. Il voyait d'autre part combien elle se sacrifiait en prenant, pour vivre avec lui, ce logis maussade [38] , ennuyeux, qui lui faisait perdretous les agréments de son rang. Logis inconvenant et indigne d'une aînée de France, qui
Weitere Kostenlose Bücher