Histoire De France 1724-1759 Volume 18
Dauphin (la Vauguyon), leur machine Argenson cadet, croyaient pouvoir oser. Leur organe indiscret, violent, madame Adélaïde, put dire: «Nous voulons... Nous ferons.»
Elle lança le roi, bride abattue, dans le plan du parti: «Exaspérer le Parlement, amener une crise où ce corps se ferait broyer. Chasser Machault, sauver les biens d'Église.»
Un coup sec fut frappé (déc. 1752). Paris était ému, indigné contre l'archevêque qui refusait les sacrements à une pauvre vieille religieuse. Que fait-on? On enlève du grabat la mourante; on la livre aux béguines du parti opposé. Paris est furieux. Le Parlement saisit l'archevêque dans son temporel, veut l'arrêter, ne peut; car il est pair, et les pairs ne veulent siéger. On remonte plus haut. On examine le droit royal d'arrestation, les Lettres de cachet ! Discussion violente qui ne finira plus qu'à la prise de la Bastille.
Attaque au Roi. Un conseiller obscur, plus hardi, attaque l'homme même, la question brûlante des blés et des spéculateurs en blé. La majorité janséniste veut l'arrêter. En vain. Il montre qu'à côté des greniers d'abondance légaux, officiels, on cache des magasins secrets, quatre-vingts repaires d'affameurs ( Barbier , V, 314).
Le roi aigri refuse d'écouter de telles remontrances. Le Parlement refuse de siéger, de juger (7 avril 1753).
Ce corps se sentait nécessaire. La guerre venait. Pas un moment à perdre pour les nouveaux impôts. Deux intérêts immenses étaient en jeu: En Amérique, la longue voie des fleuves qui vont du Canada à la Louisiane. Aux Indes, un vaste empire que Dupleix nous fondait, et dont le grand Mogol eût été tributaire. Mais il fallait armer; donc, avoir de l'argent; donc, ménager le Parlement. Cela fut agité la nuit du 8-9 mai.
Qui trancha? On ne sait. Mais le roi immola deux mondes.
Quand le Dauphin l'apprit, il embrassa son père ( Arg. , IV, 136).
Le 9 mai, à quatre heures, on enlève tout le Parlement.
En juin, on dit Madame enceinte ( Arg. , IV, 143) [37] .
Ces choses ne se prouvent jamais. Ce qui est plus certain, c'est la ruine du Parlement.
Ce n'est pas l'exil débonnaire du Régent qui leur envoyait de l'argent pour faire bonne chère. C'est une cruelle dispersion. Quatre dans les cachots. Tous jetés dans je ne sais combien de villes. Un exil combiné, non contre le corps seul, mais pour appauvrir, ruiner, affamer les individus.
Le Parlement fut vraiment admirable. La Grand'Chambre que seule on avait épargnée, eut honte et se fit exiler. De là rigueur nouvelle. Tous sont cruellement exilés de l'exil. Il faut en plein hiver (avec leurs familles ruinées, tel faisant deux cents lieues!) qu'ils aillent s'interner à Soissons. Quel résultat? Aucun. Le pouvoir est vaincu. Une Chambre royale qu'il substitue au Parlement reste oisive, honnie, ridicule. Personne ne veut y plaider.
Et cependant la crise arrive. Le mob de Londres hurle la guerre. La Compagnie anglaise de l'Ohio , surles fleuves intérieurs de l'Amérique que nous croyons à nous, établit son commerce et ses postes armés. L'assassinat d'un Français, Jumonville, envoyé en parlementaire, va commencer bientôt la grande lutte des deux nations. [Retour à la Table des Matières]
CHAPITRE XVII
SUITE D'ADÉLAÏDE—FOURBERIE DU ROI—DÉCEPTION DU PARLEMENT
1753-1755
La fatale embrassade du Dauphin avait eu son fruit. Le Roi se voyait, en décembre 1753, comme perdu, ne sachant plus que faire, au fond d'un cul-de-sac, sans moyen d'en sortir. Comment rappeler le Parlement? comment le calmer, l'apaiser? Mais comment s'en passer, frapper l'impôt nouveau sans enregistrement?
Paris était terrible cet hiver. La fermeture de tous les tribunaux, le chômage du monde énorme du Palais, avocats, procureurs, greffiers, notaires et gens d'affaires, écrivains de toute sorte, affamait une classe nombreuse, et indirectement toutes les classes qui s'y rattachaient. Grande était la fermentation, et bien plus générale qu'en 1750, quand on avait crié: «Allons brûler Versailles.» Ce monde de parleurs traînait dans les cafés, ne se gênait pas, pérorait. La police, devant une telle tempête, avait peur.
C'est à ce moment que Rousseau, sur le sujet donné par l'Académie de Dijon, écrivait le Discours sur l'inégalité , où niant le progrès, pour idéal il pose la barbarie, l'état sauvage. Sinistre paradoxe, directement hostile aux amis de Rousseau, aux Encyclopédistes et aux Économistes, à tous ceux qui
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