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Histoire De France 1758-1789, Volume 19

Histoire De France 1758-1789, Volume 19

Titel: Histoire De France 1758-1789, Volume 19 Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Jules Michelet
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témérité. Il arrive à ce point (en 1787) de ne pouvoir la quitter un moment. Quand elle va passer le jour à Trianon, quoiqu'elle n'y couche point et doive lui revenir le soir, il ne peut durer à Versailles et va à Trianon trois fois dans la journée. Au moindre mot qu'elle lui dit, on le voit ému, empressé (Besenval, II, 307). Quelle maîtresse eut jamais un pareil ascendant? La Pompadour se fit le chien de Louis XV, ne le garda qu'à force de bassesses. Louis XVI, au contraire, est le serf tremblant de la reine, observant son regard, redoutant sa parole hautaine. Tout ce qu'on a conté auMoyen âge de la magie cruelle, des opérations diaboliques, où, gardant l'apparence, on perdait l'âme, ces histoires sont trop vraies: on les retrouve ici.
    À la Fédération de 1790, un royaliste, M. de Virieu, voyant la reine sur l'estrade, l'admira, mais ne put garder un mot: «Voyez la magicienne!» Ce mot fut répété. Et la reine elle-même, dans la tragique année 91, n'ayant agi que trop sur Mirabeau, Barnave, l'appelle en souriant «La fée.»
    Ses portraits successifs, de plus en plus, expriment cette énigmatique puissance, à part de la jeunesse, à part de la beauté. Suivez-les à Versailles. Au premier (de vingt ans), elle est éblouissante, mais cela paraît peu encore. Ce sont les deux derniers portraits (de 31 et 32 ans), qui nous la donnent ainsi, triste, trouble, fort dangereuse. Ce n'est pas là la bonne fée. L'image est fantasmagorique, point naturelle, point rassurante. Est-ce Circé? Non pas. L'altier et le tendu en diminuent le charme. Est-ce Médée? Non pas. Elle n'a pas du tout l'obscène atrocité de la vraie Médée (Caroline). Après plusieurs grossesses, et à trente et un ans, dans le second portrait de madame Lebrun (86-87), elle reste fort belle, garde sa peau nacrée, «si transparente qu'elle n'admettait nulle ombre.» Autour d'elle et sur ses genoux, elle a ses beaux enfants. On repense à Van Dyck, à son Henriette d'Angleterre. Moelleusement vêtue d'un très-doux velours rouge, qui prête ses reflets au satin de la peau, elle séduirait fort, n'était le bleu trop bleu de l'œil, le regard fixe à faire baisser les yeux.
    Mais avec ses enfants pourquoi se roidit-elle? Cesinnocents gardiens la protégent. Ils devraient donner à ce tableau du calme. Il n'est point innocent, il n'est point rassuré. Il n'a pas la sécurité du noble tableau de Van Dick. La fée y nuit trop à la mère. Elle fascine au lieu de toucher. L'artiste aussi, nerveuse et troublée de la reine, émue de l'avenir, travaillait inquiète, et la main, je crois, a tremblé.
    Je ne crois pas du tout que le roi n'ait pas vu la pente sur laquelle sa cruelle passion le traînait. Sous sa morne figure que l'on eût crue insouciante, il avait de grands troubles. Un mot lui échappa qui peut en faire juger. Quand la mort de Vergennes (janvier 87) enleva les derniers moyens qu'il avait d'enrayer, le laissa faible et seul, il alla voir sa tombe au cimetière et dit: «Plût au ciel que déjà je pusse reposer à côté de vous!»
    Grave parole! on croirait volontiers qu'il eut à ce moment l'affligeante lueur de tous les changements qui s'étaient faits en lui, de son énorme écart d'avec le premier Louis XVI.—Où est le scrupuleux dauphin, le roi si amoureux du bien public, et, ce qui est plus fort, où est le roi chrétien? Quelle trace en son règne actuel de ce primitif idéal du duc de Bourgogne, dont il avait, lisait, relisait les papiers? Cet idéal du roi, quoique si favorable aux nobles et au clergé, implique le respect du devoir, l'intérêt du pasteur pour le troupeau que Dieu lui confia. L'âme de Fénelon y était contenue. Combien cette âme est loin, dans l'égoïste oubli où le roi est tombé! Que reste-t-il ici du sentiment chrétien des tendresses du Télémaque pour les misères du pauvre peuple? Il avait été élevé par deux Jésuites, laVauguyon, Radonvilliers, qui ne purent cependant fausser entièrement l'honnêteté de sa bonne nature allemande. S'il disait faux parfois, c'était faiblesse, ou bien respect humain. Nul doute que ses très-mauvais maîtres ne lui aient de bonne heure donné la grande tradition monarchique, le droit des rois de tromper pour le bien. Ces leçons lui revinrent bien plus qu'on n'aurait cru en 1787. Par trois fois, il entra, avec Calonne, avec Brienne, dans leurs plans misérables, dans les ruses grossières qui ne pouvaient que l'avilir.
    Voici ce que les

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