Histoire De France 1758-1789, Volume 19
faiseurs de Calonne avaient imaginé (son financier Panchaud, son parleur Mirabeau, etc.): d'éblouir le public, à ce fâcheux moment, et de le dérouter par l'imprévu d'un grand spectacle, par une mise en scène dans le genre de Cagliostro. C'était l'évocation d'une ombre.
Contre le Parlement qui se disait la France, on faisait apparaître une certaine figure qu'on disait la France elle-même. Une fausse petite France, choisie, triée adroitement, d'une centaine de Notables. Henri IV autrefois fit jouer cette comédie. Le fond était ceci: Ces Notables, arrivant sans droit, par simple choix du Roi, pouvaient l'aider mais ne le gênaient guère. Selon les occurrences, c'était peu ou beaucoup. Tantôt on disait: «C'est la France.» Tantôt on disait: «Ce n'est rien.»
Mirabeau nous assure que c'est lui qui donna l'idée à Calonne. Il avait besoin d'une place et se figurait être secrétaire des Notables. Si on l'en croit du reste, dans cette œuvre de ruse, il espérait mener Calonne plus loin qu'il ne voulait, des Notables aux États généraux,à l'Assemblée nationale. Il croyait tromper les trompeurs. Son second, dans la ruse, était l'abbé de Périgord, M. de Talleyrand, qui fort adroitement, d'un pied boiteux, marchait derrière le puissant orateur, s'en faisait remorquer. Mirabeau le donna à Calonne (5 juillet 86), le lui recommanda comme un jeune homme habile, discret, fort capable d'écrire «les très-grandes idées, conçues de son génie.» Nul plus apte en effet à vêtir le mensonge de forme décevante et menteuse.—Ce petit Talleyrand allait mieux à la chose que Mirabeau lui-même, trop bruyant, trop retentissant. De Mirabeau, Calonne prit l'avis et prit l'homme, mais l'éloigna lui-même, l'envoya à Berlin.
La singularité piquante de ce plan de Calonne, c'est qu'il offrait, article par article, les réformes les plus contraires à ce qu'on attendait de lui, les idées qu'on savait les plus antipathiques au roi.
1º Unité administrative. La monarchie, enfin tranquille, peut effacer les bigarrures parmi lesquelles elle a grandi. Proposition immense qui eût fait disparaître ces corps, ces priviléges antiques pour qui le Roi avait tant de respect (lui-même l'écrivait en 1788 dans une note sur les plans de Turgot).
2º Égalité d'impôts par la taxe territoriale , que jadis Machault proposa.
On se rappelle le combat que Machault soutint cinq années (1749-1754) contre le Dauphin, père du Roi. La terreur du Dauphin, la terreur du Clergé, était que, pour une telle taxe, il fallait préalablement estimer tous les biens . Machault voulait avoir un état des biens du clergé. Proposition horrible qui crevait l'Archesainte, renversait la religion. On eût vu ce que l'œil laïque ne devait voir jamais (que le clergé avait quatre milliards). Le Dauphin, pour une telle cause, fit une guerre désespérée, s'immola et ses sœurs, l'honneur et la conscience. Louis XVI, son fils, fidèle à sa mémoire, se réglant sur lui seul et lisant toujours ses papiers, put-il tout à coup agir contre dans le point le plus sérieux? Était-il converti sur cela? Point du tout. S'il fut l'invariable ennemi de la Révolution, ce fut moins pour ses droits que pour ceux du clergé.
La taxe de Machault qu'on mettait en avant n'était rien qu'un épouvantail. Ce qui le prouve assez, c'est qu'on la proposait sous la forme la plus impossible, chimérique, enfantine: «Elle serait levée en denrées.» Mais avant on allait, en estimant les biens, sonder toute fortune, regarder dans les poches des deux ordres privilégiés. Qu'eût-on vu? La richesse énorme du clergé, le déshonneur des nobles, le désordre de leurs affaires. En leur donnant la peur de tout montrer au jour, on allait les forcer de composer avec le roi, d'accorder des subsides, d'autoriser l'emprunt refusé par le Parlement.
3º Le troisième mensonge du grand prestidigitateur, c'était une certaine ombre de représentation nationale. Turgot, en 76, dans ses vastes idées d'éducation politique, pour préparer la France à se gouverner elle-même, imaginait un système d'assemblées communales, provinciales, couronné par l'assemblée des assemblées. Necker fit un petit essai des assemblées provinciales en 1778. Ces choses, bonnes alors, dix ans après avaient bien peu de sens. Au moment oùl'esprit public voulait et exigeait une représentation sérieuse, où la France allait se soulever en souveraine, en juge, ouvrir un sévère
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