Histoire De France 1758-1789, Volume 19
États venant, le Parlement allait se retrouver obscur, subalterne, rentrer dans la poudre des greffes, renvoyé à ses sacs, ses dossiers, ses procès. C'était le Parlement surtout que menaçait ce cri universel: les États généraux!
S'il suivait sa vraie politique, sa voie était toute tracée: lutter modérément, et ne pas trop pousser leministère. C'est ce qu'il fit d'abord. Il enregistra les édits sur les grains, la corvée, les assemblées provinciales. Pour la Subvention, Brienne avait à craindre; il présenta plutôt un édit sur le timbre. Là commença la résistance. Le Parlement imita les Notables et voulut avant tout qu'on lui montrât les comptes. Les lui livrer, c'était le faire assemblée souveraine, à l'égal des États. On refuse (7 juillet). Et alors, élevé par la lutte, emporté, entraîné, le Parlement donne un spectacle inattendu. Ce corps, jusque-là si tenace à défendre ses droits, vrais ou faux, tout à coup s'immole et s'oublie, abdique brusquement sa tradition de trois cents ans. Toutes ces prétentions qui lui étaient si chères, il les met sous ses pieds. Lui aussi il appelle... les États généraux!
Le Parlement fut lui-même surpris d'un si beau mouvement, aveugle et désintéressé, du pas immense qu'il avait fait d'élan. Il avança, recula, avança.
Le roi double l'orage, au lieu de le calmer. Au Timbre qu'on refuse, il ajoute la Subvention, l'envoi au Parlement. Le 6 août, en Lit de justice, il fait enregistrer les impôts refusés, il déclare qu'il est le seul administrateur du royaume, qu'à lui seul appartient d'appeler, quand il veut , les États généraux.
Le Parlement alors, justement irrité, se souvenant de son métier de juge, tire l'épée de justice. Il ne peut, dit-il, conniver au vol, à la déprédation . La déprédation, c'est Calonne. Adrien Duport le dénonce, et l'accusation est reçue (10 août). Calonne se garde bien de venir; il s'enfuit de France. La cour est alarmée. Elle publie enfin (si tard!) l'économie qu'on fait sur lamaison royale [21] . Elle allègue (si tard! et quand il n'est plus temps) l'affaire de la Hollande, les dépenses qu'elle exigerait. Le Parlement est sourd, défend expressément de percevoir l'impôt.
Le 15 août, les Parlementaires apprennent, non pas qu'on les exile, mais qu'ils continueront à Troyes d'exercer leurs fonctions. Brienne concentre le pouvoir, se fait premier ministre, donne à son frère la Guerre, et des hommes à lui prennent la Marine et les Finances. Castries, Ségur s'en vont, et avec eux, la considération du ministère.
Brienne est au plus haut, mais très-parfaitement délaissé, solitaire. Tout court à Troyes. Parlements de provinces, tribunaux inférieurs, les grandes Compagnies (Aides et Comptes), tout se déclare pour Troyes. Un immense concert s'établit sur ce mot: Les États généraux!
Les procès suspendus et l'interruption des affairesirritaient fort Paris. Le monde du Palais, les clercs, le petit peuple s'agitaient. Le ministre fit des avances au Parlement. Une dame fut son médiateur auprès du premier président. Il mollissait, offrait de substituer à la Subvention deux vingtièmes, et pour cinq années seulement . Donc, pas d'impôt perpétuel, pas d'emprunt , si l'on n'a guerre.
Point d'emprunt! En leurrant le Parlement de ce mensonge, Brienne l'apprivoise et le rappelle ici. Grande joie dans Paris. On brûle Calonne et Polignac. On crie: «Les États généraux!» Brienne espérait bien profiter de ce cri, de ce grand désir populaire. Il méditait un coup. En septembre et octobre, dans toutes les vacances, il tâta, travailla le Parlement, et, en novembre, il crut le mettre dans le sac.
Ce corps, fort divisé, par cela même offrait des prises. L'élément janséniste, sans y être amorti, y était faible en nombre. L'élément des rêveurs (d'un d'Éprémesnil par exemple) qui voulaient restaurer les libertés du Moyen âge, les libertés privilégiées, y était assez fort. Enfin, sous Adrien Duport, le futur créateur de la Société Jacobine, l'élément révolutionnaire se groupait, ardent et actif. Tous voulaient, demandaient les États généraux, en plaçant sous ce mot des idées différentes: les premiers y voyaient la machine gothique dont se jouerait la monarchie; les derniers comptaient bien y trouver un levier qui la démolît, et permît de la refaire de fond en comble.
La Fayette les avait demandés pour 92. Ce fut une lueur pour Brienne. Dans un
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