Histoire De France 1758-1789, Volume 19
avait le mot d'en haut, était ainsi lancé pour préparer les choses et pour tâter l'opinion.
Sans détour, il exalte, il divinise la banqueroute, l'appelle «cette grande et salutaire opération.» Elle peut être mauvaise en Angleterre, car c'est le peuple qui s'engage. Mais en France, ce n'est que le Roi . L'anéantissement de la dette publique, à chaque avénement, serait sage et très-légitime .—Ingénieuse idée. La banqueroute, criée au milieu des fanfares, serait apparemment une des cérémonies du sacre.
On est émerveillé, non de l'effronterie de ce paradoxal Linguet, mais de l'aimable aisance avec laquelle la cour, nos loyaux gentilshommes (délicats aux duels et aux dettes de jeu) acceptent et vantent ces doctrines. De l'honneur, pas un mot. Où donc est cet honneurqui, selon Montesquieu, faisait l'âme des monarchies? Un roi failli , fripon, dévalisant son peuple pour enrichir sa Cour, cela leur paraît naturel.
Grand, étonnant contraste avec la vieille France qui même n'eut jamais le mot de banqueroute, emprunta aux Lombards le mot vil de banca rotta . L'austérité bourgeoise de nos vieilles Coutumes marquait de traits atroces ceux qui en venaient là. Elles ne tiennent le banqueroutier quitte qu'au prix d'une infamante exhibition. Parant sa folle tête du bonnet vert des fous, il ira, demi-nu et la chemise au vent, sur la place, siéger et frapper par trois fois la pierre.
Si la veuve ne veut pas payer pour son mari défunt, il faut qu'impudemment elle renie son mariage. Avant qu'il entre en terre, elle va devant tous insulter ce corps mort, lui jette au nez les clefs de la maison.
Conseillers admirables! chevaliers scrupuleux! Voilà donc leur avis!... Que le Roi vienne aussi, banqueroutier frauduleux, orné du vert bonnet, narguer les affamés, jeter les clefs sur le corps de la France. [Retour à la Table des Matières]
CHAPITRE XXII.
LE COUP D'ÉTAT. — LES RÉSISTANCES DE BRETAGNE, DAUPHINÉ, ETC. — CONVOCATION DES ÉTATS GÉNÉRAUX.
Mai-Août 1788.
Brienne était perdu s'il n'eût eu un solide appui dans la reine et son extrême irritation. La honte du tour de passe-passe qui avait si mal réussi, l'exalta, et pour mieux braver, elle siégea dès lors aux comités et aux conseils. Elle opina, et prit la voix prépondérante. Ainsi, elle trôna, se découvrit entièrement, comme avait fait depuis dix ans sa sœur, la Caroline de Naples, tant louée de Marie-Thérèse et donnée pour exemple à Marie-Antoinette.
Brienne, encore plus mal à la cour que dans le public, succombait sous le faix. Il devint très-malade, sa poitrine se prit; on lui mit trois cautères. Autour de lui ce n'étaient qu'ennemis. Sa réforme, pourtant bien modérée, sur la maison du roi, son refus de payer les dettes de Vaudreuil, ses sages retranchementssur les Coigny, les Polignac, avaient exaspéré. Qu'est devenu le grand, le généreux Calonne: ce Brienne est si sec! La jeune cour d'Artois l'aurait bien volontiers jeté par les fenêtres. Que faire avec ce prêtre? Il est temps, disait-on, de déployer la force.
Ce qui pouvait le plus y faire penser la reine, c'était le rude accueil qu'elle avait reçu dans Paris. Ayant hasardé de venir à l'Opéra, elle y fut presque huée. Elle dut se sentir comme excommuniée de la France. De tous côtés un cri lui déchira l'oreille, ce nom: «Madame Déficit!» Le ministre de Paris fut effrayé, la supplia de ne plus s'y montrer. Son image y était proscrite. Le beau tableau de madame Lebrun resta comme captif à Versailles; s'il se fût hasardé de paraître à l'Exposition, il eut été insulté ou crevé. Dans Versailles même, elle fut avertie, et par ses gens! En allant aux conseils, elle entendit un musicien de la chapelle dire tout haut: «Une reine doit rester à filer.» (Campan.)
Elle avait été très-longtemps sous la détestable influence des bravaches étourdis, insolents, provoquants, qui contribuèrent tant à faire précipiter la crise. Le premier goût qu'elle eut à vingt ans, fut un officier de marine, un homme de ce corps odieux qui concentrait en lui tout ce que la noblesse eut de plus haïssable. Trianon, on l'a vu, et la Polignac, et la reine, subirent dix ans Vaudreuil, frère du marin célèbre, homme cassant, emporté, d'humeur folle, usant de son droit de créole, de passer en tout la mesure, de mépriser, écraser tout. Par bonheur, elle n'était plus sous ces funestes influences. Vaudreuil,avec Calonne, et tous les violents,
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