Histoire De France 1758-1789, Volume 19
Empire du Sud . L'électeur de Bavière était près de la mort. Son futur successeur, le faible Palatin, était serré de près, obsédé par l'Autriche, effrayé, corrompu; Joseph n'était pas loin de lui faire échanger son droit, son héritage, pour un plat de lentilles, une petite fortune que Joseph promettait à un bâtard du Palatin. Indigne escamotage. Mais il fallait le faire sous les yeux perçants de Frédéric qui regardait.
Joseph vint voir ce qu'il pouvait attendre de notre appui contre la Prusse, de notre vieille servitude autrichienne sous Choiseul et la Pompadour. Antoinette serait-elle la Pompadour de Louis XVI, pour livrer le sang de la France? Pour lui c'était la question. Il trouva son Choiseul très-solidement enterré à Chanteloup. La Polignac, créée exprès pour ramener Choiseul, n'y songeait plus, exploitait la faveur. Quoi qu'on fît, Antoinette ne pensait qu'au plaisir: si vaine et si mobile, quelque aimée qu'elle fût du roi, elle était réellement neutralisée par Maurepas, Vergennes. Et la France? Son cœur et ses yeux étaient tournés vers l'Amérique. Il était insensé de lui demander autre chose.
Joseph fut ridicule. Les nigauds admirèrent qu'il fût descendu à l'auberge, dans un hôtel de troisièmeordre. Lui qui bâtonnait les déistes, il visita Rousseau et lui fit ses hommages.
Censeur austère des mœurs et méprisant Versailles, il alla présenter ses respects à la Du Barry, ramassa sa jarretière. Tout fut baroque en lui, discordant, dissonant.
Il était parti de l'idée que Louis XVI était un idiot. Il le trouva gardé, cuirassé, averti. Vergennes, chaque matin, prévoyait et disait au roi ce que Joseph allait lui dire le soir, lui soufflait ses réponses. Son humeur retomba sur Marie-Antoinette. Il lui reprocha amèrement de n'être pas encore enceinte, de n'avoir pas su faire un Dauphin qui lui aurait donné le pouvoir de servir l'Autriche. Dans les notes écrites qu'il lui laissa (29 mai 1777), il la tance pour ses parties fines et ses courses de nuit, lui prédit une chute affreuse. Il fait fort bien entendre que si elle n'est pas enceinte la faute en est à elle, qui s'est remise à vouloir coucher seule, qui glace le roi par ses dédains, etc. ( Arneth , Joseph , p. 6). Certainement l'obstacle était l'objet chéri dont s'indigne Marie-Thérèse ( Arn. , 1779). Le charme du bijou faisait tort au gros Louis XVI. Joseph gardait rancune et mépris à la Polignac. Cyniquement il riait à son nom ( Voyage de Bouillé, Mél. de Barrière ).
On est émerveillé de voir avec quelle douceur, celle qu'on aurait crue si hautaine, reçut la correction. Elle se réforma un peu, se rapprocha de son mari (janvier 1778) pour servir sa mère et son frère. Le Bavarois était mort (en décembre) et la crise arrivait. Et il se trouvait justement que le roi ne pouvait plus rien,étant lié (6 février) par l'alliance américaine et la guerre avec l'Angleterre.
Joseph eut l'air d'un écolier. Il prenait la Bavière. Frédéric lui saisit la main, l'arrête et lui prend la Bohême. Joseph arme alors. Sa mère pleure. Elle crie: Au secours! Elle implore Antoinette. Elle espère dans le roi, «dans la tendresse du roi pour sa chère petite femme.» ( Arn. , 247.) Et ce n'est pas en vain.
La reine obtint le 18 mars que le roi renvoyât durement le ministre de Prusse, qui le sollicitait de s'unir, d'imposer la paix. Louis XVI se dit neutre, mais sous main donne à Joseph un secours de quinze millions, selon le beau traité de 1756, nous refaisant ainsi tributaires de l'Autriche. Lâcheté misérable et demi-trahison qui ne fut guère secrète. Une si grosse somme ne fut pas invisible. Au départ de l'Hôtel des postes, on vit les sacs et les fourgons. Cet argent et celui que l'on donna en 1785, au total vingt millions, restèrent ineffaçables. Louis XV en avait donné soixante-quinze à peu près. Cette faiblesse du roi, cette duplicité et la haine du peuple, furent payés comptant en amour. Ce jour même du 18 mars, la reine fut enceinte de l'enfant qui naquit le 18 décembre 1778 (ce fut Madame d'Angoulême).
Les neuf mois de grossesse furent très-cruels à l'Amérique. Le roi, engagé avec elle, fit tout pour agir peu, ne pas trop fâcher l'Angleterre, dans l'idée vaine que la guerre maritime pourrait être évitée encore, et qu'il resterait libre d'agir contre la Prusse, libre au moins de l'intimider. Il ne fit rien pour l'Inde. Il intima à l'Amérique de ne pas
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