Histoire De France 1758-1789, Volume 19
d'acheter, non en Hollande, mais en France, et dans nos arsenaux, les 25,000 fusils, la poudre, les 200 pièces de canon, nécessaires aux Américains.
Il est très-beau au Havre, ce Figaro, qui défie l'Océan. Les Américains trament, ne viennent pas prendre le secours. Il cherche, il trouve des navires, les arme, et met dessus d'excellents officiers, tels du grand Frédéric. Que de choses il risquait! être pris, n'être pas payé, être sacrifié par Versailles, si l'Angleterre criait, si le Roi prenait peur, voulait arrêter tout. C'est ce qui arriva. Un contre-ordre survint, mais tard, et les vaisseaux filèrent (janvier 1777).
M. de Lafayette part le 26 avril. Un homme de vingt ans, dans sa première année de mariage, laisse sa femme enceinte, secrètement achète un vaisseau, et malgré sa famille, les défenses du Roi, les menaces,s'embarque et traverse la mer. Lui-même il a écrit ce mot simple, héroïque: «Dès que je connus la querelle, mon cœur fut enrôlé, et je ne songeai plus qu'à joindre mes drapeaux.» ( Mém. , I, 7.)
L'effet fut admirable. Les Français affluèrent. L'Amérique eut des armes et sur-le-champ vainquit (1777). Le contre-coup de joie fut tel ici que le Roi, que Vergennes, hésitants, frémissants, furent entraînés par le public. La France s'allia. Le Roi n'eut qu'à signer (février 1778).
Il était entendu qu'il s'agissait pour nous de nous perdre et de nous ruiner. Mais cela n'était pas facile. Personne ne voulait nous prêter. Il y fallut un homme de talent, de ressources, un banquier admirable. Personnage un peu ridicule par sa vanité, son pathos, pédant, fils de pédant, M. Necker n'était pas moins un homme honnête et bon, noblement désintéressé, qui, par sa probité, son honorable caractère, encouragea l'Europe à prêter à la France, mit celle-ci à même de courir à son gré dans la voie de la banqueroute. Sa vertu, ses talents, funestes à la patrie, ont sauvé l'Amérique, servi le genre humain.
Un fermier général, qui l'aime peu, en fait, malgré lui, cet éloge: «Sa sensibilité avait pour but les hommes en masse. Elle tenait surtout d'un esprit d'ordre et de justice.» ( Monthion , 204.)
L'ordre fut son objet d'abord. Les quatre mois après Turgot avaient été un vrai pillage. Il rétablit la comptabilité. Il annonça les vues d'un gouvernement probe qui ne craignait pas la lumière. La foi à la lumière, à la publicité, c'est en cela qu'il rappelle Turgot. Dèssa première année, il joue cartes sur table, avoue ce grand secret que l'État est grevé de quarante millions de rentes viagères (7 janvier 1777). On crie: l'imprudent! l'indiscret! Et cela au contraire rassure; on apporte l'argent à cet homme si franc qui dit tout. Genève seule prête cent millions. Sept mois après, la lumière dans l'impôt . Nulle crue de cote personnelle sans vérification publique de ce qu'a donné la paroisse par-devant les notables que la paroisse élit (août 1777). L'année suivante, 1778, essai (timide encore) des assemblées provinciales de Turgot, et d'abord partiel, en Berry, en Guienne, en Dauphiné, en Bourbonnais. Assemblées où le Tiers-État sera en nombre dominant, qui doivent éclairer, conseiller, et non entraver le pouvoir. (V. Lavergne .)
Necker nourrit la guerre. Mais à ce moment même, l'Autriche aurait voulu nous jeter par-dessus une seconde guerre, d'Allemagne, d'Europe. Joseph, comme plusieurs des enfants de Marie-Thérèse, n'eut pas l'esprit très-sain. Sa sœur de Naples fut un monstre de lubrique férocité, impudente, avec son Emma. Celle de France, légère et charmante, violente par moment, plus douce (avec ses douces femmes Lamballe et Polignac), avait dans ses caprices, dans son visage (au nez un peu oblique), quelque chose de discordant. Le plus bizarre était Joseph. Ce sombre personnage, bilieux, lanciné d'humeurs âcres et d'hémorroïdes ( Arn. , 289), semblait ne tenir dans sa peau. Il était résolu à se faire, à tout prix, grand homme, à éclipser le roi de Prusse. Réformateur étrange, d'une part il ferme les couvents, de l'autre il poursuit les déistes: toutdéiste sera bâtonné, dépouillé de ses biens, tiré de sa famille, enrégimenté et perdu dans les colonies militaires (V. Michiels , II, 251).
Son cauchemar était Frédéric. Ayant si aisément gagné la Gallicie, il guettait la Bavière, énorme proie, attenant à l'Autriche, qui l'aurait fait compacte et monstrueusement arrondie en grand
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