Histoire De France 1758-1789, Volume 19
Valois,» ayant l'ovale très-noble et un peu long de la famille. Ses yeux bleus expressifs, sous l'arc des sourcils noirs, brillaient de certaine étincelle qu'eut cette dynastie de poètes, de Charles d'Orléans à la divine Marguerite. Elle en avait la bouche un peu grande et le fin sourire, prête à conter les Cent Nouvelles . Avec ses jolies dents, elle avait quelque chose de railleur, de mordant, certain attrait sauvage. Et sauvage elle fut en effet de misère dans l'enfance jusqu'à quatorze ans. Les Saint-Remy, ses pères, méprisant tout métier, ruinés, misérables, avaient ici la vie qu'ils auraient eue en Canada, vivant de rien, de baies, de misérables fruits, faisant aux bois de petits vols, que (par charité ou par peur) on ne voulait pas voir. Ils n'étaient pas errants cependant. Ils restaient autourde Bar-sur-Aube, près de leurs anciens fiefs, comme attachés encore à ces terres, attendant je ne sais quel hasard qui pourrait les y faire rentrer.
Le dernier Saint-Remy mourant, laissa trois orphelins, que la mère mena à Paris. Celle dont nous parlons, jolie, intelligente, mendiait pour les autres, devait rapporter tant le soir, sinon battue cruellement. Sa mère la maltraitait; son frère, sa sœur, nourris par elle, la malmenaient comme mendiante.
L'enfant resta assez petite, fut faible et délicate. Elle garda de tant de souffrances une trace (qu'a remarquée Beugnot), c'est que la nature, en formant son sein, n'acheva pas, «n'en fit qu'une moitié, qui faisait fort regretter l'autre.»
Une bonne dame qui en eut pitié, prit les orphelins, les présente à Louis XVI. Ce qui surprend, c'est qu'il fut peu touché. Cette race des Valois lui parut dangereuse. Il voulait les éteindre, faisant du frère un moine, un chevalier de Malte, et les deux sœurs religieuses. Avec une petite pension, on les mit à Longchamps. Et dès qu'elles furent grandes, l'abbesse, selon les vues du roi, voulut, de gré, de force, les voiler, les enfermer là pour toujours. Dans cette abbaye, près Paris, de renom musical, qui recevait tout le beau monde, elles avaient rêvé une autre vie. À tout hasard, elles partirent, n'ayant que dix-huit francs chacune, sans appui, abri, ni ami.
Ces pauvres demoiselles, seules ainsi dans la rue, étaient comme une proie. La seule maison qu'elles connussent, était celle de leur bienfaitrice. Mais elle leur était dangereuse. Le mari, prévôt de Paris, corrompu,endurci dans ses exécutions sommaires des voleurs et des filles, avait persécuté l'aînée dès quatorze ans, voulant vilainement se payer sur l'enfant du pain qu'elle mangeait chez lui. Elles fuirent de Paris, allèrent à Bar-sur-Aube, le pays de leurs pères, y arrivèrent avec six francs. Une dame les reçut par charité. Cette dame avait un neveu, militaire en congé, gendarme de la maison du roi. La Valois n'y échappa point. L'hôte, le protecteur s'en empare, la rend enceinte. On la marie, et elle accouche au bout d'un mois de deux enfants. Mais elle était trop faible, les enfants ne vinrent pas viables. Elle resta affublée d'un mari, sot, laid et endetté, et qui n'était qu'un embarras.
Elle avait bien du nerf, ne désespéra pas. L'idée fixe qui avait soutenu ses aïeux, la soutenait aussi: c'était sa terre, ce patrimoine, qui, après avoir passé de main en main, était rentré alors au domaine royal, et semblait d'autant plus facile à recouvrer. Elle vint vaillamment seule à Paris, réclamer, mendier, avec son grand nom de Valois. Son compatriote Beugnot, jeune avocat, lui donnait parfois à dîner. Toujours souriante, gracieuse, elle semblait n'avoir jamais faim, en mourait; menée au café, elle tombait sur les échaudés. Un jour, chez une grande dame qu'elle sollicitait, elle se trouva mal; c'était de faim.
La grande aumônerie avait par an plus d'un million et demi pour aider la noblesse pauvre. Nulle plus noble, plus pauvre, à coup sûr, que celle-ci. Rohan, à qui on la présente, est attendri, et lui donne d'abord en secours deux ou trois mille francs. Mais son cœurse prend fort; le voilà amoureux, lui si blasé, usé. Celle-ci, soit par l'effet du nom, soit par son enjouement charmant, malicieux, certain attrait sauvage de chatte ou de panthère, lui mit la griffe au cœur. De Paris à Versailles, où elle était pour ses affaires, il lui écrit des lettres éperdues (Beugnot les vit plus tard), lettres folles, honteuses, de désir effréné. Bref, il la prend à lui, l'établit,
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