Histoire De France 1758-1789, Volume 19
favorisé.
La reine, à un autre âge, pour un homme à la mode, avait bravé, affronté le scandale, s'était fait croire coupable (et plus qu'elle ne l'était peut-être). Mais ici, au scandale se mêlait le dégoût, l'indignité, le ridicule. Qu'un prêtre libertin, à cinquante ans, de fille en fille, en fût venu à elle, c'est ce dont la cabale, Monsieur, Mesdames, et le Palais-Royal, et Calonne (le grand libelliste), pouvaient se régaler, faire leur joie, leur victoire. La cruelle affaire du collier arrivait en cadence. À quiconque doutait des succès de Rohan: «Pourquoi pas? disait-on. Elle a bien reçu le collier.»
Christine, pour bien moins, dans un temps plus barbare, avait fait sous ses yeux saigner Monaldeschi. Les hommes de la reine, qui savaient ses souffrances, sa fureur, Vermond et Breteuil, voulurent au moins flétrir Rohan.
Dans sa folle maison, entre Cagliostro, Serafina et la Valois, et je ne sais combien de parasites, le produit des petits diamants fondit, disparut en deux mois. Rapportés par Lamotte, de Londres, en mai, les centmille écus prirent des ailes, n'attendirent pas juillet. À ce terme du premier payement, voilà Rohan tout éperdu. Il cherche, il prie Saint-James de payer à sa place. Saint-James en avertit Vermond, et les deux joailliers avertissent Breteuil, ministre de Paris. Breteuil en est ravi, espère perdre Rohan. Mais la reine pourrait hésiter. Durement et crûment, il lui apprend la chose, le bruit qu'on en fait dans Paris, le scandale du collier qui est la fable du public. Elle rougit. Elle est interdite, semble ne rien savoir.
Rohan craignait extrêmement que l'on n'arrêtât la Valois, qu'on ne la fît parler. Il la cache, elle et son mari. Puis il voulait les décider en ami à sortir de France. Le faisant, il eut pu mentir tout à son aise, tout rejeter sur eux, dire qu'il ne savait rien, que, non autorisés par lui, ils avaient vendu les petits diamants. La Valois parut obéir et prit la route d'Allemagne, avec Lamotte son mari, mais s'arrêta chez elle, à Bar-sur-Aube, attendit les événements.
Qu'eût-elle craint? Nul ne l'accusait. Georgel, l'homme du cardinal, lui-même en fait l'aveu: Saint-James, Bœhmer, Bassange, n'avaient accusé que Rohan (G., II, 135). Elle ne se cacha nullement, alla voir ses voisins de Bar, le duc de Penthièvre, le couvent de Clairvaux, où l'on fêtait la Saint-Bernard ( Beugnot ).
Breteuil, habilement, avait pris le premier moment de la juste colère du roi, à une telle révélation. Le 15 août, au grand jour de la Saint-Louis, où Rohan officie dans ses habits pontificaux, la cour et tout un monde emplissant la grande galerie, Breteuil crie:«Qu'on l'arrête! qu'on arrête le cardinal!» Rohan se voit conduit devant le roi et les ministres. Vrai tribunal; la reine y siége aussi, exaltée et en pleurs. Le roi hors de lui-même. Anéanti, le prêtre fait la lâche réponse d'Adam contre Ève: «Une femme m'a trompé.» Il la croyait bien loin, déjà passée en Allemagne, s'imaginait pouvoir s'innocenter à ses dépens.
Tant colère que parut le Roi, on savait bien qu'il reviendrait bientôt, ne voudrait pas porter un tel coup à l'Église. On agit dans ce sens, et on laissa Rohan faire tout ce qui pouvait l'aider. On le laissa écrire dans son bonnet un petit mot, un ordre de brûler certaines choses. Breteuil, son ennemi (retenu par le roi sans doute), retarda soixante heures avant d'aller chez lui visiter ses papiers.
Rohan, mené à la Bastille par le gouverneur Delaunay, son ami personnel, eut par ordre du roi le bel appartement, parfaite liberté de promener, de communiquer . La Valois était à Clairvaux, en fête, avec Beugnot, lorsqu'elle apprit cette nouvelle. Il la vit face à face à ce moment, put l'observer. Elle pâlit, mais resta très-ferme pour ne pas fuir, rentra chez elle à Bar-sur-Aube. En vain il la pria, supplia de partir, lui montra les facilités. Elle lui dit: «Monsieur, vous m'ennuyez!» Le conseil de Beugnot, en effet, était détestable. Fuir, c'était s'accuser, appuyer les mensonges qu'il plairait à Rohan de faire. Rester, c'était rendre improbable à tout jamais l'accusation. Si elle avait eu le collier, serait-elle restée pour qu'on la tourmentât et la forçât de rendre? Et, si elle l'avaitvendu, si elle eût eu en Angleterre le million qu'on disait, elle aurait fui certainement. Cela tranche pour moi le procès.
Le mari, la voyant arrêtée, fut si peu troublé, qu'il eût
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