Histoire De France 1758-1789, Volume 19
éperdues de l' esclave , adorations folles, étaient une riche source, intarissable, de risée. Le succèsenhardit la Valois. Elle osa (à l'insu de la Reine) faire de fausses réponses en son nom; réponses encourageantes qui exaltaient Rohan, et le rendaient sans doute plus généreux pour la Valois.
Rohan croyait toucher au but, et remplacer Calonne. Entre celui-ci et la Reine une guerre avait éclaté en 1784. Enceinte de trois ou quatre mois, elle avait une envie, un vif désir d'avoir Saint-Cloud, de l'acheter aux Orléans. Saint-Cloud, c'est Paris presque, lieu libre, où l'on rentre à toute heure. Elle avait souvenir de cette nuit de bal où le Roi lui ferma la grille de Versailles, la laissa à la porte négocier, prier (Bachaumont). Devenue régulière, elle avait cependant ce caprice de la liberté, d'une propriété tout à elle, acquise en propre et privé nom. Le Roi consent, mais Calonne résiste, disant qu'acquis ainsi, Saint-Cloud serait terre autrichienne, propriété de l'Empereur, si la Reine mourrait ne laissant pas d'enfants. Il résiste six mois, ne cède que forcé par le Roi, mais se venge. Il arrête sous un prétexte Hugeard, secrétaire de la Reine, qui a rédigé le contrat ( Mém. d'Augeard ).
Lutte étonnante qui indigna la Reine. Calonne n'était pas un Turgot. Prodigue des prodigues, pour elle seule il est économe. Cent millions ont passé à son joyeux avénement pour les princes et les Polignacs. Il a de l'argent pour Cherbourg, pour les canaux, les barrières de Paris qui vont coûter douze millions. Il en donne quatorze pour payer Rambouillet, acheté par le Roi. Il achète les terres de tous les seigneurs obérés au prix qu'ils veulent (pour soixante-dix millions). Il fait signer au Roi en un an cent trente-six millions enacquits au comptant (dont vingt et un millions inconnus, anonymes). Et il n'en a pas quinze pour acheter Saint-Cloud!
Combien moins aura-t-il de l'argent pour l'Autriche et les millions de Joseph II!
La Reine aurait voulu le chasser à tout prix. Rohan, plus complaisant et brûlant de servir, s'offrait, offrait un plan de finances qu'un certain avocat Laporte avait écrit et lui avait donné par la Valois.
La Reine était troublée. Elle n'avait jamais eu une grossesse si orageuse. Elle croyait mourir en couches. Dans ses craintes, elle permit qu'on consultât pour elle le devin à la mode, grand ami de Rohan, et qui logeait chez lui, le célèbre Cagliostro. Véritable enchanteur, dont on n'approchait guère sans en être séduit. Aux pratiques occultes (magnétiques et somnambuliques), il liait la maçonnerie. C'était son originalité, ce qui le distinguait et du fameux Borri, qui brilla à Strasbourg au XVII e siècle, et du comte de Saint-Germain, cet homme d'infiniment d'esprit, qui dut éblouir Louis XV, faisant à volonté et donnant des diamants. Cagliostro l'avait vu en Allemagne, avait pris sa tradition. Mais sa grande éloquence, son génie sicilien, lui donnait une bien autre action, et même sur des gens sérieux. Il semblait que par lui il vînt un nouveau dogme. Ne brisant nul autel, il en élevait un au dieu inconnu, la Nature. Il avait pris d'abord un point central, le Rhin, entre France et Empire, au palais de Rohan et sous la flèche de Strasbourg.
On débitait mille choses. Les Allemands, en lui, revirent le Juif errant. À Paris, il était musulman d'origine,fils de quelque roi d'Orient, élevé dans les Pyramides, où il apprit à fond les sciences occultes. Ainsi que Saint-Germain, il avait vécu trois cents ans. Il en paraissait trente. C'est qu'il possédait le secret de rajeunir, renouveler la vie, et la puissance aussi de réveiller l'amour. L'amour? on le voyait, vivant, en sa charmante femme, Serafina Feliciani, une fleur du Vésuve (lui était de l'Etna).
Cette Serafina semble être pour beaucoup dans la puissance d'attraction qu'eut Cagliostro pour Rohan. Dès qu'ils vinrent à Paris, le prince cardinal les établit près de lui, au Marais, paya tout et défraya tout. Ils eurent un hôtel rue Saint-Claude. Serafina eut une cour. Madame de Valois dut se subordonner, lui tenir compagnie. À se loger si loin, Cagliostro gagna. Le désert attira la foule. Le plus grand monde, les belles dames affluaient, consultaient le sage, s'initiaient à ses mystères. On s'enivrait de sa parole et de sa fantasmagorie. Ému, illuminé, et d'autant moins lucide, on errait volontiers dans les sombres jardins du vieil hôtel, hantés de
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