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Histoire De France 1758-1789, Volume 19

Histoire De France 1758-1789, Volume 19

Titel: Histoire De France 1758-1789, Volume 19 Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Jules Michelet
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vivesensibilité en ce qui la touchait, par sa crainte naturelle du bruit, et son regret d'avoir fait tant d'éclat. Il eût voulu d'abord se réfugier dans le huis-clos, remettre l'affaire aux ministres, MM. de Vergennes et de Castries. Mais quelle ombre fâcheuse en serait restée sur la Reine! Il eût bien mieux valu que Rohan fît appel au Roi, aidât lui-même à étouffer la chose. Les ministres allèrent lui demander à la Bastille, s'il ne voulait pas se fier à la bonté du Roi; sinon l'affaire serait livrée au Parlement. Il avait grande envie d'abréger tout, de se remettre au Roi. Mais sa famille, mais Georgel, l'affermirent. Il demanda d'être jugé.
    L'essentiel était que le public n'entendît trop les cris de la Valois. On la tenait dans la Bastille, sous la griffe de Delaunay, l'excellent gouverneur, le client des Rohan, qui savait comme on peut faire taire un prisonnier. On a fait de nos jours des idylles sur la Bastille. Dans la réalité, elle était douce aux gens qu'on ménageait (la Staal, Marmontel, etc.); mais pour d'autres, terrible. Sans croire aux in pace qu'on se figura voir dans l'épaisseur des murs, elle avait très-certainement au plus bas d'horribles cachots, boueux, où l'eau entrait, et les rats d'eau, féroces, friands de nez, d'oreilles. La Bastille (comme le fort de Brest et tant d'autres prisons) avait ses légendes trop vraies, de prisonniers mangés, du moins attaqués jour et nuit, mordus et mutilés. Grand moyen de terreur. Pour n'être pas mis là, que ne faisait-on pas? L'idée seule pouvait faire défaillir une femme. Les aumôniers parfois, dit-on, en profitèrent avec de pauvres protestantes, qui en sortaient enceintes et converties.
    La Valois, se trouvant entre quatre murs noirs, et tenue d'abord seule, sans conseil, se trouva heureuse de voir un être humain, un homme doux et compatissant, l'aumônier (que le gouverneur envoyait). Elle s'épancha fort, dit tout à cet homme de Dieu. Il ne lui fut pas difficile de tirer d'elle ce qu'on voulait savoir: qu'elle n'avait aucun papier , et pas même des lettres d'amour. Elles l'auraient servie beaucoup dans le procès: 1º on y eût vu le vilain prêtre à nu, ignoble libertin, un gibier de Bicêtre, sans cœur et sans cervelle, indigne d'être cru ; 2º ces lettres montrant combien il l'avait désirée, achetée à tout prix, auraient (contre Target et les défenseurs de Rohan) prouvé que sa fortune précédait l'affaire du collier, venait de l'amour non du vol ; 3º que neuf mois avant cette affaire, elle était richement, fastueusement entretenue ( Beugnot ).
    Ces lettres, si utiles, la Valois les avait brûlées, se désarmant ainsi pour l'honneur de Rohan. Elle avait tout détruit, sauvé Rohan, s'était perdue.
    On le devinait bien. Son compatriote Beugnot, son jeune ami, qu'elle voulait pour avocat, n'osa pas la défendre. En vain, du fond de la Bastille, elle appela et supplia. Elle croyait qu'il avait souvenir de son arrivée à Paris, où il la promenait, où ils avaient passé de doux moments. Elle avait eu un tort, de se moquer un peu de lui: il eût pu l'oublier. Si elle avait eu le malheur de passer par l'amour de cet indigne prêtre, la faim en était cause. Avec ses échaudés, Beugnot ne la nourrissait pas. Dans son plus grand éclat, recevant le beau monde, elle l'invitait fort, le traitait en ami.Elle se fia à lui, à son moment suprême, sa dernière nuit de liberté; elle lui mit en main ses papiers, s'aida de lui pour les brûler. C'est là qu'il parcourut les lettres de Rohan. Lui laissant voir ses lettres, sa honte à elle-même, elle disait assez: «J'ai péché!» Cela demandait grâce. Elle était fort touchante dans cet appel de la Bastille. S'il y était venu, elle l'aurait ressaisi peut-être. Elle avait vingt-six ans, étincelait d'esprit, était (plus que jamais) charmante de grâce et de passion.
    Elle était bien naïve, avec cet âge et tant d'épreuves, de s'adresser à ce sage jeune homme, ce prudent Champenois, né pour faire son chemin. Si elle avait encore une chance de salut, c'eût été de dire tout, sans taire ce qui était contre elle, et d'ébranler la France du tonnerre de l'opinion. Il eût fallu, non un Beugnot, mais bien un Mirabeau, un intrépide fou, qui, tenté par la gloire, se perdît, s'immortalisât. Mais eût-elle voulu elle-même être ainsi défendue? Nullement. Espérant être ménagée de Rohan, un peu couverte par la Reine, elle voulait ruser, ménager tous

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