Histoire De France 1758-1789, Volume 19
les deux. Cela fut impossible. Tous les deux l'accablèrent. Elle se trouva prise entre l'enclume et le marteau.
Un fait fort singulier ferait croire que d'avance le Roi, engagé malgré lui dans ce fatal procès, redoutait les écarts hardis des avocats, aurait ouvert l'oreille à certain compromis. Georgel, voulant d'abord faire taire les joailliers (pour la partie du collier qu'on vendit à Londres), demanda et obtint du Roi qu'on leur assignât ce payement sur son abbaye de Saint-Vast. Grâce étrange et bien étonnante au début d'unpareil procès! Quoi! le Roi le poursuit et l'envoie en justice, prévenu d'attentats qui pourraient lui coûter la tête; et pourtant il s'y intéresse tellement, a soin de ses affaires! Ne pourra-t-on pas dire que, tout en l'accusant, il le craint, le ménage, achète sa discrétion? Quoi qu'il en soit, Georgel a fait un coup de maître faisant croire que le Roi est au fond pour Rohan.
Cela énerve le procès, le rendra vain et ridicule.
Les lettres du roi au Parlement sont pitoyables de timidité, de mollesse, très-propres à confirmer ces bruits.
On y voit un mari inquiet qui se dépêche de mettre sa femme hors de cause. Il affirme d'abord ce qui est en litige: Elle n'a pas reçu le collier .
On n'y voit pas du tout le roi. Il oublie qu'il est roi; il n'a nul sentiment de la Majesté outragée. Beugnot dit à merveille: «La Révolution était faite lorsque le roi s'oublie lui-même, réduit toute la cause à une affaire d'escroquerie.»
Le roi explique, d'un ton qu'on croirait apologétique, l'arrestation du cardinal; il mentionne l'excuse que Rohan a donnée: « Il a été trompé. » Cela simplifie tout. Il est dupe plus que criminel. Le juge n'aura pas grand'peine pour trouver le coupable sur qui on doit frapper. Il a été trompé « par une femme .» Rohan a peu à craindre. Si justice se fait, ce sera seulement in anima vili .
Le procès est tracé d'avance. Seulement, pour arranger cela, il ne faut pas trop de clarté. C'était précisément l'année où un magistrat (Dupaty) demanda qu'il n'y eût plus de procédure secrète , que l'accusé nefût plus isolé, qu'il fût environné des garanties de la publicité, que l'information, les débats, se fissent en plein soleil. La Justice elle-même devait le désirer, vouloir sortir de la nuit odieuse qui la rendait suspecte, obtenir le grand jour et montrer qu'elle est la Justice.
Le contraire arriva. Le Parlement condamna Dupaty, garda et défendit ses formes inquisitoriales, l'arbitraire infini que lui donnait l'obscurité.
Mais le roi est le roi. Il pouvait se placer du côté du public qui demandait cette réforme, l'imposer à son Parlement. Dans une affaire où il était partie, où la reine même était en jeu, il devait le vouloir, ne laisser là-dessus nulle ombre.—Le contraire arriva. Il recula devant cette réforme. On put croire qu'il craignait que l'affaire ne fût éclaircie.
L'épiscopat français se serait fait honneur, si son chef (le grand aumônier) acceptant le juge laïque, il eût demandé le grand jour. Heureuse occasion de faire taire les méchants, de montrer l'innocence de cet agneau sans tache. Mais l'Église n'en profita pas.
Le roi, la Justice et l'Église furent d'accord pour fuir la clarté.
On montra du procès aussi peu que l'on put. On fit plus que le supprimer. On le faussa, en écartant ceci, faisant voir cela. La nuit absolue, pour tromper, vaut moins que les fausses lueurs.
Une chose a frappé Beugnot, c'est que dans les Mémoires, si nombreux, d'avocats, on ne sent aucun sérieux. «Ce ne sont que jeux puérils.» Il semble que l'affaire est arrangée d'avance, l'issue prévue, qu'ils'agit simplement d'amuser le public et de jouer la comédie.
L'avocat de Cagliostro dit gravement comment, élevé dans les Pyramides, il y apprit toute science. Le mémoire du prophète fut si piquant, si curieux, qu'il y eut queue à son hôtel, où on le débitait; il fallut y mettre des gardes.—Mademoiselle Oliva, charmant témoin, docile, prête à dire tout ce qu'on voulait, fit un délicieux mémoire, «très-digne, dit Georgel, de Paphos et de Gnide.»
Tous veulent amuser, être divertissants; ils visent au succès si grand qu'eut Beaumarchais. Pour aucun d'eux l'affaire n'est sérieuse. Nul ne semble prévoir l'effondrement moral qui va se faire, la reine avilie, le trône ébranlé. Ils se disent: «Nulle vie n'est en jeu. Il n'y aura pas mort d'homme... Une femme tout au plus
Weitere Kostenlose Bücher