Histoire de France
héraut : « Qui t’a fait comte ? » s’entendit répondre : « Qui t’a fait roi ? » Les Robertiniens avaient mis cent ans à s’élever au trône. Il leur faudra encore cent ans pour qu’ils soient tout à fait solides. Supposons chez les descendants de Hugues des morts imprévues et prématurées, qui auraient remis la couronne au hasard de l’élection, supposons de trop longs règnes achevés dans la faiblesse sénile, le roi vieillard perdant le contact avec ses contemporains et sa longévité troublant l’ordre régulier des générations : la maison capétienne disparaissait. En tout cas, elle n’eût pas déployé ses qualités. À tous les égards, son succès tient à ce qu’elle a été d’accord avec les lois de la nature.
La France avait l’instrument politique de son relèvement. Mais quelle longue tâche à remplir ! Les Capétiens n’allaient pas, d’un coup de baguette magique, guérir les effets de l’anarchie. Le territoire national restait morcelé : il faudra des siècles pour le reprendre aux souverainetés locales. L’absence de gouvernement régulier avait causé bien d’autres maux qui, eux, non plus, ne seraient pas guéris en un jour. L’écroulement de la monarchie carolingienne avait produit les effets d’une révolution. Presque tout le capital de la civilisation s’y était englouti. Les famines, les épidémies se prolongèrent jusqu’au siècle suivant. Les conditions de la vie étaient devenues si terribles qu’elles ont donné naissance à la légende d’après laquelle les hommes de ce temps-là auraient attendu la fin du monde, et, croyant que l’an mille ne pouvait pas être dépassé, auraient, dans une sorte de folie collective, renoncé au travail et à l’effort. On a exagéré, on a généralisé abusivement quelques passages de vieilles chroniques. La vie ne fut interrompue nulle part. Mais les hommes avaient beaucoup souffert. Il en resta un grand mouvement mystique, tout un renouveau de l’esprit religieux. L’Église en profita pour imposer les règles qui limitaient les guerres privées et le brigandage : ce fut la trêve de Dieu. En même temps, la chevalerie était instituée. Les devoirs de l’homme d’armes, l’honneur du soldat : ces idées étaient en germe dans la féodalité, fondée sur l’idée de protection. L’Église les exalta et les codifia. Bientôt ce renouveau de la vie spirituelle donnera naissance aux Croisades, dérivatif puissant, par lequel I’Occident, depuis trop longtemps replié sur lui-même, enfermé dans les horizons bornés de sa misère matérielle et politique, préparera sa renaissance en reprenant contact avec le monde méditerranéen et l’Orient, avec les vestiges de l’Antiquité et d’une civilisation qui ne s’oubliait pas.
Chapitre 5 Pendant 340 ans, l’honorable maison capétienne règne de père en fils
Les premiers règnes furent sans éclat. Pendant une centaine d’années, cette royauté fit petite figure. Quel domaine étroit ! Avec Paris pour centre, Ses principales villes étaient Orléans, Étampes, Melun, Dreux, Poissy, Compiègne et Montreuil-sur-Mer. C’était à peu près tout ce que le roi possédait en propre, et maints châteaux forts au milieu de ses terres abritaient encore des seigneurs qui le bravaient. Comme chef féodal et duc de France, le roi avait pour vassaux directs les comtes de Blois, d’Anjou et du Maine et les comtes bretons du Mans et de Rennes pour arrière-vassaux. Huit grands fiefs, relevant nominalement de la couronne, indépendants en fait, se partageaient le reste du territoire, si étroitement borné à l’Est par l’Empire germanique qu’il ne touchait même pas partout au Rhône et que ni Lyon, ni Bar-le-Duc, ni Cambrai, pour ne citer que ces villes, n’en faisaient partie.
Les huit grands fiefs étaient ceux de Flandre, de Normandie, de Bourgogne, de Guyenne, de Gascogne, de Toulouse, de Gothie (Narbonne, Nîmes) et de Barcelone : la suzeraineté capétienne sur ces duchés et ces marches venait de l’héritage des Carolingiens. C’était un titre juridique qu’il restait à réaliser et qui ne le serait jamais partout. En fait, les grands vassaux étaient maîtres chez eux.
La dignité royale et l’onction du sacre qui entraînait l’alliance de l’Église, une vague tradition de l’unité personnifiée par le roi : c’était toute la supériorité des Capétiens. Ils y joignaient l’avantage, qui ne serait
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