Histoire de France
des troupes moyennant la promesse de réformes. Aussitôt le dauphin commença l’investissement de Paris, Étienne Marcel ayant refusé de se soumettre.
C’était la guerre civile, la dispute pour le pouvoir. Elle éveilla des instincts éternels et « l’anarchie spontanée » éclata. Dans toute la région qui entoure la capitale, dans le pays de Laon, d’Amiens, de Beauvais, de Soissons, où le mouvement communal avait déjà revêtu, jadis, les formes les plus violentes, ce fut une terrible Jacquerie. Étienne Marcel accueillit avec joie, s’il ne l’avait provoquée, cette révolte paysanne et s’entendit avec ses chefs. Mais les Jacques, auxquels il prêtait la main, furent battus, presque par hasard, à Meaux. Charles le Mauvais lui-même, pour ne pas s’aliéner les nobles qui étaient dans son parti, s’associa à la répression et il y eut grand massacre des révoltés. Avec la Jacquerie, Étienne Marcel perdait un grand espoir. Il ne comptait plus que sur Charles le Mauvais auquel il donna le titre de capitaine général de Paris, mais qui, devenu prudent, négociait déjà avec le dauphin. En somme, l’effroi qu’avait répandu la Jacquerie rétablissait les affaires de la royauté. Paris, serré de près, manquait de vivres et commençait à murmurer. Ou murmura plus encore lorsque le prévôt des marchands eut appelé des Anglais dans la ville. Le parti royaliste, terrorisé par des massacres après la fuite du régent, releva la tête. Bientôt Étienne Marcel fut tué au moment, où, selon la légende, il plaçait lui-même les gardes qui devaient ouvrir les portes de la ville au roi de Navarre : la dernière ressource du chef révolutionnaire paraît en tout cas avoir été d’offrir la couronne à Charles le Mauvais. Étienne Marcel finit comme un traître.
Jean Maillart et les bourgeois parisiens qui avaient mené cette contre-révolution arrêtèrent les amis du prévôt et envoyèrent les députés au régent qui reprit possession de la ville. On était en juillet 1358 : les troubles duraient depuis près de deux ans. Les traces en resteront longtemps dans les esprits. Lorsque le dauphin entra dans Paris, un bourgeois, selon le récit de Christine de Pisan, s’approcha et lui adressa des menaces. Le jeune prince empêcha qu’on lui fît du mal et se contenta de lui répondre d’un mot à la Henri IV : « On ne vous en croira pas, beau sire. » Le futur roi Charles, qui allait devenir Charles le Sage, vivra sous l’impression de ces événements révolutionnaires comme Louis XIV vivra sous l’impression de la Fronde.
La royauté était rétablie dans sa capitale, mais la guerre civile n’avait pas arrangé les affaires de la France. L’état de guerre durait. Les campagnes, à la merci des Anglais, foulées aux pieds, se défendaient comme elles pouvaient : l’histoire du grand Ferré si connue, illustre la résistance du peuple à l’envahisseur, laisse pressentir Jeanne d’Arc. Les « compagnies », les brigands, les bandes navarraises ajoutaient aux calamités. Il fallait au royaume la paix d’abord. Celle qu’offrit Édouard III était telle (le vieil État anglo-normand en eût été reconstitué), que les états généraux autorisèrent le régent à la repousser. Alors Édouard III se prépara de nouveau à envahir la France et cette menace eut un effet salutaire : Charles le Mauvais lui-même eut honte de ne pas paraître bon Français et conclut un accord provisoire avec le régent, tandis que les milices pourchassaient les grandes compagnies. Édouard III, débarqué à Calais avec une puissante armée, se heurta partout à des populations hostiles, à des villes qui s’enfermaient dans leurs murs. Il parut devant Paris et les Français se gardèrent de lui offrir la bataille. Las de battre un pays désert, Édouard III, craignant un désastre, rabattit de ses exigences. On signa en 1360 le traité de Brétigny qui nous laissait la Normandie mais nous enlevait tout le Sud-Ouest jusqu’à la Loire. Le tribut de guerre, dit rançon du roi Jean, fut fixé à trois millions d’écus d’or payables en six annuités. Invasion, démembrement du territoire, indemnité écrasante : tel fut le prix du « butin » qui avait commencé aux dernières années de Philippe le Bel pour s’épanouir dans les révolutions de Paris.
La nation française avait payé cher cinquante ans d’insubordination et de désordre. Comment se relèverait-elle ? Par les
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