Histoire de France
elle forme l’élément capital du procès de Rouen. Jeanne d’Arc personnifiait la patrie pour les uns, pour les autres les noms détestés d’Orléans et d’Armagnac. Bedford et Winchester, pour condamner la sainte au bûcher, pour se venger en déconsidérant sa cause, se servirent encore de nos guerres civiles. Qui fut leur homme ? Cauchon, une des lumières de l’Université de Paris, l’Université bourguignonne, pleine de rancune. Cauchon eut soin de la consulter : l’Université déclara coupable et envoya au feu celle qui représentait le parti d’Orléans (30 mai 1431). La haine de l’Université contre Jeanne d’Arc est la même qui avait associé les docteurs aux bouchers, les intellectuels aux cabochiens. L’odieux du procès et de la condamnation doit équitablement se partager entre les Anglais et leurs serviteurs français du parti bourguignon, le parti de l’Angleterre, le parti de l’étranger.
Pourtant, une des grandes idées de la « bonne Lorraine » avait été la réconciliation des Français. Grâce au mouvement national que son intervention avait déterminé, le retentissement et l’horreur de son martyre réalisèrent son vœu. La domination anglaise était de plus en plus détestée. Paris même se lassait. Le duc de Bourgogne se sentait abandonné de ses partisans et la protection de l’Angleterre commençait à lui peser. Quatre ans après la mort de Jeanne d’Arc, au congrès d’Arras, il se réconciliait avec Charles VII qui n’acheta pas trop cher cet accord en exprimant des regrets pour l’assassinat de Jean sans Peur. Brève réconciliation. La maison de Bourgogne sera encore l’ennemie de la France. Mais il n’y aura plus chez nous que des débris du parti bourguignon. Le parti de la légitimité, le parti français, l’a emporté. Un an après le traité d’Arras, les Parisiens ouvrent leurs portes aux gens du roi et ils aident Richemond à chasser la garnison anglaise.
Rien n’était encore fini. Les Anglais tenaient toujours une partie du royaume. Le reste était dans le chaos et la misère. Comme Charles le Sage, Charles VII avait tout à refaire : l’administration, les finances, l’armée, en un mot l’État. Et le roi de France n’avait que de misérables ressources : à la cour somptueuse de Bourgogne, dans le grand apparat de la Toison d’Or, on se moquait du « roi de Gonesse » monté sur « un cheval trottier ». Et non seulement Charles VII ne disposait que de faibles moyens, mais tout le monde avait perdu l’habitude d’obéir : les grands vassaux donnaient le mauvais exemple. Il faudra juger le duc d’Alençon, coupable d’avoir négocié avec l’Angleterre.
Le beau feu d’enthousiasme et de patriotisme qui avait pris naissance à Domremy ne pouvait durer toujours. Surtout il ne pouvait suffire à remplacer l’organisation et la discipline. Rétablir l’ordre, chasser les Anglais : ce fut, pendant vingt ans, la tâche de Charles VII. Il l’accomplit à la manière capétienne, petitement d’abord, pas à pas, posant une pierre après l’autre, aidé dans sa besogne par des gens de peu ou de rien, des bourgeois administrateurs, l’argentier Jacques Cœur, le maître de l’artillerie Jean Bureau. « Le bien servi » fut le surnom de Charles VII. Il eut le talent de se faire servir, d’écouter les bons conseils, d’exploiter les dévouements, d’être ingrat au besoin, bref de tout ramener au bien de l’État. Le résultat fut qu’à la mort du roi, l’Angleterre, en France, ne tenait plus que Calais. La victoire de Formigny (1450) effaça Crécy, Poitiers, Azincourt.
Les Anglais n’eussent pas été chassés, du moins aussi vite, si la division ne se fût mise parmi eux : leurs régents se querellèrent. Les minorités ne réussissaient pas mieux aux Anglais qu’à nous. Celle d’Henri VI leur fut fatale, les introduisit dans la guerre civile qui devait éclater bientôt : York contre Lancastre, cette guerre des Deux Roses qui déchirera l’Angleterre au moment où l’Allemagne sortant de son anarchie et de sa léthargie sous la main des Habsbourg, allait redevenir dangereuse pour nous. Avec ces troubles d’Angleterre, la guerre de Cent Ans s’éteint. À si peu de temps du bûcher de Rouen, le théâtre tourne, la scène change. Voici la France, à peine délivrée des Anglais, attirée vers l’est où ses frontières sont cruellement inachevées.
Aux heures de sa pire détresse, le roi de
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