Histoire de la Bretagne ancienne et moderne
porté le dernier coup aux
accusations sans fondement des calomniateurs de la vieille province
catholique. Ainsi, tandis que, dans les départements les plus
voisins du centre de la civilisation, les classes populaires,
vivant d’une vie toute matérielle, adonnées à tous les vices qui
dégradent, sont descendues au dernier degré de l’échelle morale et
intellectuelle, aux extrémités de la France un peuple se rencontre
doué de l’imagination la plus brillante, et qui, par son énergie,
sa foi inébranlable et sa haute moralité, semble former comme une
race à part au milieu des types effacés et des mœurs abâtardies
d’une civilisation toute matérielle…
« Ce qui frappe tout d’abord l’étranger
qui visite la Bretagne en observateur sérieux, c’est cet esprit de
conservation, cette vénération pour les traditions paternelles qui
éclate dans tous les actes de la vie du Breton. Chose
étrange ! tandis que l’amour des nouveautés s’empare de
l’Europe entière, et que les sociétés dédaignent de plus en plus
cette vertu dont M. Royer-Collard regrettait si amèrement la
perte : le
respect !…
le Breton se cantonne, pour
ainsi dire, dans ses mœurs nationales, et nourrit au fond de son
cœur cette passion du sol natal qui fut toujours l’un des traits
les plus caractéristiques des races celtiques… L’exil est presque
toujours pour lui la mort…
« Le paradis du bon Dieu, telle est leur
espérance, telle est la pensée qui sert de baume à toutes leurs
souffrances…
« À l’époque de démocratie où nous
vivons, nul ne veut se reconnaître de supérieur, et pourtant dans
aucun temps peut-être les caractères ne furent plus
abaissés.
Le paysan de la basse Bretagne s’incline, lui,
devant certaines supériorités sociales ; mais en cela il ne
prétend pas faire acte de servilité. Loin de là, il pousse souvent
jusqu’à l’exagération le sentiment de sa valeur personnelle ;
les airs hautains, la morgue impertinente le révoltent et
l’aliènent à toujours. Nos pères le savaient et se conduisaient en
conséquence : de là l’influence immense qu’ils exerçaient sur
leurs vassaux.
« Il y a peu d’années, un prince
traversait Kemper-Corentin, la vieille capitale de Gradlon. Le
préfet du Finistère, voulant faire connaître à l’illustre voyageur
les costumes pittoresques de son pays, invita un riche paysan
propriétaire des environs à envoyer à la préfecture ses filles
parées de leurs plus beaux atours : « Mes filles,
répondit le cultivateur, ne sont pas faites pour être données en
spectacle. »
« Les socialistes de ce temps ont sans
cesse sur les lèvres le mot
association ;
mais je ne
sache pas qu’ils aient jusqu’ici réussi à convertir les masses à
leur système. En Bretagne, l’
utopie
de ces socialistes a
été réalisée depuis des siècles, grâce à la toute-puissante
influence du christianisme… S’agit-il, par exemple, d’exploiter une
taille ou d’élever quelque bâtisse ? Au sortir de la
grand’messe, le dimanche, le c
rieur
monte sur les marches
de la croix du cimetière, et de là il annonce aux habitants de la
paroisse qu’il y aura tel jour un grand charroi chez un tel, à tel
endroit. Fallût-il trois cents voitures, elles se trouveront, à
l’heure indiquée, à la porte de celui auquel on doit prêter
assistance. Le bois ou la pierre est chargé, voituré et déchargé en
un tour de main. Une fête s’improvise ensuite, on boit, on mange à
la table de la fraternité : « Les mendiants de la
paroisse, sans lesquels il n’est pas de fêtes, vocifèrent à
tue-tête les vieux chants traditionnels du pays, et toute la
paroisse est en liesse… »
« Est-il permis de supposer qu’un pareil
état de choses se puisse prolonger pendant quelques siècles encore,
en dépit des efforts de l’administration et des facilités de
locomotion que présenteront les chemins de fer ? Les
unitaires
prétendent que non. À les en croire, les
Bretons, avant un demi-siècle, seront aussi civilisés, aussi
moraux, aussi intelligents que le sont, à cette heure, les
populations rurales de l’Île-de-France et de la Champagne. Nous
sommes convaincu que cette prédiction ne se réalisera pas…
« L’Angleterre nous a précédés dans la
carrière des améliorations industrielles : or, est-il au monde
un pays où la misère soit plus hideuse, la démoralisation des
classes inférieures plus profonde ?…
« Tous
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