Histoire de la Bretagne ancienne et moderne
superstitieux. Dans les campagnes, leurs demeures sont
étroites, obscures et mal soignées ; dans quelques endroits,
ils ont conservé pour vêtements les peaux de chèvres et de
brebis : ils portent encore ces larges braies que les Romains
avaient remarquées, et on reconnaît à leurs longs cheveux plats la
Gallia
comata
de Pline. Les encouragements d’une
administration éclairée, l’exemple d’une nation active et
ingénieuse n’ont eu qu’une faible influence sur leurs progrès.
L’industrie manufacturière s’est bornée à produire quelques toiles
grossières ; l’industrie commerciale s’est développée dans
quelques ports. Une administration active, l’accroissement du
nombre des propriétaires, la suppression de tous les privilèges et
le progrès des lumières peuvent seuls faire monter un peuple au
rang qu’il est digne d’occuper parmi les nations éclairées. Mais,
pour recevoir de l’instruction, pour profiter des exemples, pour
secouer le joug de la superstition et des préjugés, il y a un grand
obstacle à vaincre : tant qu’une partie des Bretons
s’obstinera à ne pas parler la langue du peuple poli dont ils sont
les concitoyens, tant qu’ils conserveront exclusivement un idiome
que leurs voisins n’ont aucun intérêt à apprendre, ils resteront
isolés dans l’univers.
« Ils prétendent à l’honneur, qui leur
est disputé par les Normands et par les Picards, d’avoir été les
premiers trouvères ; et quoique leurs poésies, écrites dans
une langue rude et peu répandue, n’aient pas eu le même succès que
celles des troubadours méridionaux, on reconnaît assez généralement
qu’elles ont conservé le dépôt des anciennes traditions, qui ont
fourni la matière des vieilles chroniques et des romans de la
Table-Ronde…
« On a fait une triste observation :
c’est que le nombre des personnes sachant lire et écrire n’est pas,
en Bretagne, le trentième de ce qu’on en compte sur une population
égale dans les autres parties de la France ; et cette
circonstance est d’autant plus déplorable, qu’à en juger par la
trempe forte de leur caractère et de leur esprit, et par quelques
grands hommes nés parmi eux, on serait fondé à espérer de voir les
Bretons étendre à leur tour le cercle des connaissances
humaines. »
Ces lignes sont l’expression la plus polie du
libéralisme de 1826 : la mauvaise foi y coudoie à tout moment
la niaiserie et l’ignorance. Notre histoire de Bretagne ayant déjà
répondu victorieusement, par des faits nombreux, à ces absurdes
assertions, nous n’avons plus qu’à recueillir quelques observations
qui n’ont pu trouver place dans le cours de notre livre.
« La Bretagne est-elle peuplée de
barbares, réfractaires à toute civilisation ? » s’est
demandé M. Aurélien de Courson en terminant sa belle
Histoire des Peuples Bretons,
couronnée en 1846 par
l’Académie des Inscriptions et Belles-Lettres. « Cette
croyance, ajoute-t-il, a régné jusqu’à ces derniers temps ;
c’est hier seulement que des hommes graves et savants, étrangers à
notre province, ont protesté contre ces calomnies du passé.
« Deux hommes, dont personne ne conteste
le mérite et la science, ont parcouru la Bretagne en 1840 et en
1841. Une savante compagnie leur avait confié la mission d’explorer
l’Armorique au triple point de vue moral, agricole et industriel.
On s’attendait, sans nul doute, à des plaintes amères sur
l’abrutissement d’une population courbée, depuis treize siècles,
sous le joug du catholicisme et de la féodalité. La lecture du
rapport de MM. Villermé et de Châteauneuf causa au sein de
l’Académie des Sciences morales le plus profond étonnement.
Quoi ! ces paysans qui pratiquent avec tant de fanatisme la
religion du moyen âge ;
quoi ! les fils de ces
brutes à face humaine qui répondaient aux Commissaires de la
Convention : « Faites-nous donc bien vite guillotiner,
afin que nous ressuscitions le troisième jour » ;
quoi ! ces hommes qui
déshonoraient la
guillotine :
voilà que deux savants économistes, fort peu
suspects assurément d’exaltation poétique, viennent célébrer leur
énergie, leur loyauté antique, leur noble fierté, la sincérité et
l’élévation de leurs croyances. Il y avait là de quoi bouleverser
les systèmes les mieux arrêtés. La publication des chants
populaires de l’Armorique, recueillis et traduits par
M. de La Villemarqué, a
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