Histoire de la philosophie. Tome I, L'Antiquité et le Moyen Âge. I. Période hellénique
aussi celle de Plotin) que nous trouvons à la fin du livre : tous les maux justifiés parce qu ’ ils rentrent dans le plan de l ’ univers, le mal inséparable du bien, le cercle de la fortune qui fait distribuer aux hommes les sorts les plus divers, voilà une conception du destin qui n ’ annonce en rien celle du déterminisme scientifique où les faits déterminent les faits, mais qui reste celle du stoïcisme, où les parties sont déterminées par leur rapport au tout.
De cette conception naturaliste, Pomponazzi tira les conséquences en son De naturalium effectuum admirandorum causis seu de incantationibus liber , paru en 1556. La théorie du miracle qu ’ il y donne procède certainement plus de la doctrine stoïcienne et plotinienne de l ’ univers que d ’ un sentiment du véritable déterminisme scientifique ; il ne lui suffit pas d ’ opposer aux miracles le postulat du déterminisme scientifique ; il avoue (comme le fait Plotin) que les faits miraculeux sont des faits exceptionnels qui accompagnent par exemple l ’ établissement des religions et « ne sont pas conformes au cours commun de la nature » ; ils sont pourtant des faits naturels ; m ais pour les expliquer, il faut aller, dans la connaissance de la nature, jusqu ’ à une profondeur que l ’ on n ’ atteint pas d ’ ordinaire ; il faut connaître les forces occultes des herbes, des pierres et des minéraux, telles que Pline l ’ Ancien les a décrites ; il faut voir la sympathie qui lie l ’ homme microcosme aux diverses parties du monde et lui fait subir des influences à distance [890] ; il faut enfin connaître la force de l ’ imagination, capable, par la suggestion, de produire des guérisons.
Tout en se proclamant fidèle croyant, Pomponazzi habituait donc les esprits à une conception de l ’ homme et de l ’ univers indépendante du dogme ; il est pourtant à remarquer que cette conception est fort loin de l ’ expérience et des sciences p.756 positives, se référant seulement à des conceptions de l ’ univers fort vieillies. Les aristotéliciens de Padoue sont en revanche tout à fait en dehors du courant qui mène de Buridan à Képler, Galilée et Descartes : pendant tout le cours du XV I e siècle, le péripatétisme italien oppose à la nouvelle dynamique l ’ absurde théorie d ’ Aristote sur le mouvement des projectiles [891] .
On le voit, le Padouan admet un univers stoïcien et même plotinien, plus encore qu ’ aristotélicien. Les fameuses discussions qu ’ il y eut entre alexandristes et averroïstes, c ’ est-à-dire entre ceux qui prétendaient suivre Alexandre d ’ Aphrodisias ou Averroès dans l ’ interprétation de la théorie Aristotélicienne de l ’ intelligence, ne touchent pas au fond des choses. L ’ alexandriste (comme Pomponazzi) admettait que l ’ âme était mortelle, parce que l ’ intellect possible sur quoi agit l ’ intellect agent n ’ était rien autre chose qu ’ une disposition des organdi de l ’ homme, favorable à cette action ; l ’ averroïste, admettant que l ’ intellect possible est, comme l ’ intellect agent, éternel mais aussi impersonnel, conférait à l ’ âme humaine, en tant qu ’ elle participe à la connaissance intellectuelle, une immortalité impersonnelle. Un des plus célèbres averroïstes est Nifo, dont le De Immortalitate (1518) combat Pomponazzi et que Léon X encourage dans sa lutte contre l ’ alexandrisme [892] jugé plus dangereux encore que l ’ averroïsme. Remarquons que ce prétendu alexandrisme reproduit l ’ enseignement d ’ Aristoclès, un des maîtres d ’ Alexandre, qui était tout imbu de la doctrine stoïcienne : c ’ est donc encore le stoïcisme que nous retrouvons en cette interprétation d ’ Aristote : mais remarquons aussi que ce débat implique que l ’ on on était resté à une conception du mécanisme de la connaissance intellectuelle, depuis longtemps abandonnée par les occamistes.
VI. — LE DÉVELOPPEMENT DE L ’ AVERROISME
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p.757 Jérôme Cardan (1501-1576), qui étudia à Pavie, puis à Padoue, jusqu ’ en 1525, et qui fut célèbre comme médecin, représente assez bien ce naturalisme padouan, c ’ est-à-dire une conception stoïco-plotinienne du monde (la théorie du monde de Plotin, isolée de sa théorie des hypostases, est fort près du stoïcisme) très favorable à l ’ occultisme et à l ’ astrologie. Ce bohème incorrigible dont
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