Histoire de la philosophie. Tome I, L'Antiquité et le Moyen Âge. I. Période hellénique
maximum contract qu ’ est l ’ univers, Nicolas montre l ’ explicatio en train de se faire bien plutôt qu ’ achevée ; en effet sa physique, comme celle de Plotin, cherche à montrer que tout est encore en tout ; ainsi les quatre éléments n ’ existent pas à l ’ état de pureté, comme chez Aristote ; ce sont des mixtes, et le feu lui-même contient, réunis en lui, les trois autres éléments.
La connaissance est le mouvement inverse de l ’ explicatio , par lequel, dans l ’ âme, la diversité se réduit à l ’ unité. Dans cette théorie de la connaissance se trouve une confusion fondamentale, remarquée par plusieurs historiens et qui est fort instructive. Chez Nicolas, comme chez Aristote, l ’ âme est, à sa manière, toutes choses à l ’ état de complication, et la connaissance qu ’ elle produit peu à peu est l ’ explication de ce qui est en elle ; comme l ’ explicatio est un état de détente et de multiplicité, elle est, en principe, inférieure à la complicatio . Mais inversement, la connaissance, actuation des puissances de l ’ âme, est en fait un enrichissement ; il semble bien que Nicolas de Cuse ait perçu d ’ une manière assez vague que la p.749 connaissance se fait par deux mouvements inverses l ’ un de l ’ autre, l ’ un d ’ analyse, l ’ autre de synthèse, mais qu ’ il les nomme l ’ un et l ’ autre explicatio .
Comment le dogme s ’ arrange-t-il de ce platonisme ? L ’ esprit de Nicolas de Cuse paraît sans cesse partagé entre le principe occamiste qui met les vérités de la foi au-dessus de toute prise humaine, et les thèses platoniciennes qui décrivent la réalité divine elle-même. Reconnaîtra-t-on, par exemple, la création, acte positif et libre de la volonté divine, en cette formule : « Puisque la créature a été créée par l ’ être du maximum, et puisque, dans le maximum, c ’ est une même chose d ’ être, de faire et de créer, créer ne veut pas dire autre chose, sinon que Dieu est tout ? [881] . A vrai dire pourtant, Nicolas de Cuse n ’ admet pas, comme Plotin, qu ’ il y ait aucun principe nécessaire qui force la multiple à sortir de l ’ un : il est à jamais impossible « de comprendre comment une forme infinie unique est participée de manière diverse en des créatures diverses » [882] , et l ’ espoir de toute métaphysique émanatiste est abandonnée. L ’ on voit encore ici par où Nicolas de Cuse est un moderne, essayant d ’ extraire du néoplatonisme moins une métaphysique expliquant en gros l ’ univers qu ’ une méthode et un esprit, aboutissant à des problèmes concrets et limités.
IV. — LE PLATONISME ( suite )
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Le platonisme de Nicolas de Cuse, par bien des points, dépasse de beaucoup celui que nous allons maintenant exposer : le cardinal, accablé d ’ affaires, ne pouvait donner que peu d ’ instants à la méditation philosophique, et ses idées restent souvent vagues ; mais il a fait plus qu ’ entrevoir qu ’ il y a une méthode dans le platonisme. Au contraire, les platoniciens, p.750 depuis Marsile Ficin, veulent surtout accentuer le fonds religieux ou poétique qu ’ il y a dans les doctrines du maître ; et ils y cherchent non seulement l ’ accord avec le christianisme, qui, contre les averroïstes padouans, doit montrer que la philosophie, elle aussi, est chrétienne, mais encore l ’ unité d ’ une religion commune à toute l ’ humanité, que l ’ on rencontre plus ou moins obscurément dans les traditions de tous les peuples et dont le christianisme n ’ est peut-être qu ’ un aspect momentané : idée qui mettra les platoniciens humanistes en conflit avec la Réforme, mais aussi finalement avec la Contre Réforme.
On voit par là le sens de la lutte entre aristotéliciens et platoniciens qu ’ ouvrit Pléthon, à Florence, en 1440, avec son pamphlet contre Aristote ; pour lui, comme pour le cardinal Bessarion et ses partisans, il s ’ agissait d ’ employer Platon à se défendre contre le fatalisme et la négation de l ’ immortalité de l ’ âme. C ’ est aussi le sens des travaux de Marsile Ficin, qui traduisit Plotin en 1492 et commenta Platon dans sa Theologia platonica de immortalitate animorum ; il voit dans ses recherches philosophiques un complément nécessaire à la prédication religieuse, qui est impuissante à détruire l ’ impiété d ’ Averroès. Il y faut « une religion
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