Histoire de la Révolution française depuis 1789 jusqu'en 1814
des montagnards ses amis, sur quoi pouvait-il s’appuyer ? La convention penchait bien pour lui et sa cause ; mais elle était asservie à la puissance révolutionnaire des comités. Danton n’ayant ni le gouvernement, ni l’assemblée, ni la commune, ni les clubs, attendit la proscription sans rien faire pour l’éviter.
Ses amis le conjuraient de se défendre. « J’aime mieux, répondait-il, être guillotiné que guillotineur ; d’ailleurs ma vie n’en vaut pas la peine, et l’humanité m’ennuie. – Les membres du comité cherchent ta mort. – Eh bien (entrant en colère) ! si jamais…, si Billaud…, si Robespierre… ; ils seront exécrés comme des tyrans ; on rasera la maison de Robespierre ; on y sèmera du sel, on y plantera un poteau exécrable à la vengeance du crime !… Mais mes amis diront de moi que j’ai été bon père, bon ami, bon citoyen ; ils ne m’oublieront pas. – Tu peux éviter… – J’aime mieux être guillotiné que d’être guillotineur. – Mais en ce cas il faut partir ! » (Tournant alors sa bouche et relevant sa lèvre avec dédain et colère) : « Partir !… Est-ce qu’on emporte sa patrie à la semelle de son soulier ? »
Il ne restait à Danton qu’une seule ressource, c’était d’essayer sa voix si connue et si puissante, de dénoncer Robespierre et les comités, et de soulever la convention contre leur tyrannie. Il en était vivement pressé ; mais il savait trop combien le renversement d’une domination établie est difficile ; il connaissait trop l’asservissement et l’épouvante de l’assemblée pour compter sur l’efficacité d’un pareil moyen. Il attendit donc, croyant toutefois, lui qui avait tant osé, que ses ennemis reculeraient devant une proscription comme la sienne. Le 10 germinal on vint lui annoncer que son arrestation était débattue au comité de salut public, et on le pressa encore une fois de fuir. Il réfléchit un moment, et il répondit : Ils n’oseraient ! La nuit sa maison fut investie, et il fut conduit au Luxembourg avec Camille Desmoulins, Philipeaux, Lacroix, Westermann. En entrant il aborda cordialement les prisonniers qui se pressaient autour de lui. « Messieurs, leur dit-il, j’espérais dans peu vous faire sortir d’ici ; mais m’y voilà moi-même avec vous, et je ne sais pas maintenant comment cela finira. » Une heure après il fut mis au secret, et on l’enferma dans le cachot qu’avait occupé Hébert, et que devait bientôt occuper Robespierre. Là, se livrant à ses réflexions et à ses regrets, il disait : « C’est à pareille époque que j’ai fait instituer le tribunal révolutionnaire ; j’en demande pardon à Dieu et aux hommes ; mais ce n’était pas pour qu’il fût le fléau de l’humanité. »
Son arrestation produisit une inquiétude sombre, une rumeur générale. Le lendemain, dans l’assemblée, à l’ouverture de la séance, on se parlait bas, on se demandait avec épouvante quel était le prétexte de ce nouveau coup d’état contre des représentants du peuple. « Citoyens, dit Legendre, quatre membres de cette assemblée sont arrêtés de cette nuit ; je sais que Danton en est un, j’ignore le nom des autres. Mais, citoyens, je le déclare, je crois Danton aussi pur que moi ; et cependant il est dans les fers. On a craint, sans doute, que ses réponses ne détruisissent les accusations dirigées contre lui ; je demande en conséquence, qu’avant que vous entendiez aucun rapport, les détenus soient mandés et entendus. » Cette motion fut entendue avec faveur et donna un moment de courage à l’assemblée ; quelques membres demandèrent qu’on allât aux voix, mais cette bonne volonté dura peu. Robespierre parut à la tribune : « Au trouble depuis long-temps inconnu qui règne dans cette assemblée, dit-il, aux agitations qu’ont produites les paroles de celui que vous venez d’entendre, il est aisé de s’apercevoir qu’il s’agit ici d’un grand intérêt, qu’il s’agit de savoir si quelques hommes aujourd’hui l’emporteront sur la patrie. Nous verrons dans ce jour si la convention saura briser une prétendue idole, pourrie depuis long-temps, ou si dans sa chute elle écrasera la convention et le peuple français ! » Et il lui suffit de quelques mots pour ramener le silence, la subordination dans l’assemblée, pour contenir les amis de Danton, et pour faire
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