Histoire de la Révolution française depuis 1789 jusqu'en 1814
contraire la popularité et se tenait-on au coin de son feu ? cette vie retirée vous avait fait remarquer. Suspect. – Étiez-vous riche ? il y avait un péril imminent que le peuple ne fût corrompu par vos largesses. Suspect. – Étiez-vous pauvre ? il fallait vous surveiller de plus près ; il n’y a personne d’entreprenant comme celui qui n’a rien. Suspect. – Étiez-vous d’un caractère sombre, mélancolique et d’un extérieur négligé ? ce qui vous affligeait, c’est que les affaires publiques allaient bien. Suspect. – Un citoyen se donnait-il du bon temps et des indigestions ? c’est parce que le prince allait mal. Suspect. – Était-il vertueux, austère dans ses mœurs ? il faisait la censure de la cour. Suspect. – Était-ce un philosophe, un orateur, un poète ? il lui convenait bien d’avoir plus de renommée que ceux qui gouvernaient ! Suspect. – Enfin, s’était-on acquis de la réputation à la guerre ? on n’en était que plus dangereux par son talent. Il fallait se défaire du général ou l’éloigner promptement de l’armée. Suspect. »
«La mort naturelle d’un homme célèbre, ou seulement en place, était si rare que les historiens la transmettaient comme un événement à la mémoire des siècles. La mort de tant de citoyens, innocents et recommandables, semblait une moindre calamité que l’insolence et la fortune scandaleuse de leurs meurtriers et de leurs dénonciateurs. Chaque jour le délateur sacré et inviolable faisait son entrée triomphale dans le palais des morts, en recueillait quelque riche succession. Tous ces dénonciateurs se paraient des plus beaux noms ; se faisaient appeler Cotta, Scipion, Régulas, Saevius Sévérus. Pour se signaler par un début illustre, le marquis Sérénus intenta une accusation de contre-révolution contre son vieux père déjà exilé, après quoi il se faisait appeler fièrement Brutus. Tels accusateurs, tels juges : les tribunaux, protecteurs de la vie et des propriétés, étaient devenus des boucheries, où ce qui portait le nom de supplice et de confiscation n’était que vol et assassinat. »
Camille Desmoulins ne se bornait pas à attaquer le régime révolutionnaire et dictatorial, il en demandait l’abolition ; il provoqua l’établissement d’un comité de clémence, comme le seul moyen de finir la révolution et de pacifier les partis. Son journal produisit beaucoup d’effet sur l’opinion ; il donna un peu d’espoir et de courage. On se demandait de toutes parts : Avez-vous lu le Vieux cordelier ? En même temps, Fabre d’Églantine, Lacroix, Bourdon de l’Oise, excitaient la convention à secouer le joug du comité ; ils cherchaient à réunir la Montagne et la droite pour rétablir la liberté et la puissance de l’assemblée. Comme les comités étaient tout-puissants, ils essayèrent de les ruiner peu à peu ; c’était la marche qu’il fallait suivre ; il importait de changer l’opinion, d’encourager l’assemblée, afin de s’appuyer sur une force morale contre la force révolutionnaire, sur le pouvoir de la convention contre le pouvoir des comités. Les montagnards dantonistes essayèrent de détacher Robespierre des autres décemvirs ; Billaud-Va-rennes, Collot-d’Herbois et Saint-Just, leur paraissaient seuls irrémédiablement attachés au système de la terreur. Barrère y tenait par faiblesse, Couthon par dévouement à Robespierre. Ils espéraient gagner celui-ci à la cause de la modération, par son amitié avec Danton, par ses idées d’ordre, ses habitudes d’austérité, sa profession publique de vertu et son orgueil. Il avait défendu les soixante-treize députés girondins détenus contre les comités et les jacobins, il avait osé attaquer Clootz etHébert, comme ultra-révolutionnaires, et il avait pu faire décréter par la convention, l’existence de l’Être suprême. Robespierre était la plus grande renommée populaire d’alors ; il était en quelque sorte le modérateur de la république et le dictateur de l’opinion ; en le gagnant, on comptait venir à bout, et des comités et de la commune, sans compromettre la cause de la révolution.
Danton le vit à son retour d’Arcis-sur-Aube, et ils parurent s’entendre ; attaqué aux jacobins, il fut défendu par lui. Robespierre lut et corrigea lui-même le Vieux cordelier, en l’approuvant. En même temps il professa quelques principes de
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