Histoire de la Révolution française depuis 1789 jusqu'en 1814
était passé. L’entreprise de Grenelle fut très-meurtrière pour lui : outre ses pertes dans la mêlée, il en fit de considérables devant les commissions militaires, qui furent pour lui ce que les tribunaux révolutionnaires avaient été pour ses ennemis. La commission du camp de Grenelle condamna, en cinq fois, trente-un des conjurés à-la mort, trente à la déportation, vingt-cinq à la détention.
Quelque temps après, la haute-cour de Vendôme jugea Babœuf et ses complices, au nombre desquels étaient Amar, Vadier, Darthé, ancien secrétaire de Joseph Lebon. Ils ne se démentirent ni les uns, ni les autres ; ils parlèrent en hommes qui ne craignaient ni d’avouer leur but, ni de mourir pour leur cause. Au commencement et à la fin de chaque audience, ils entonnaient la Marseillaise. Cet ancien chant de victoire, leur contenance assurée, frappaient les esprits d’étonnement, et semblaient les rendre encore redoutables. Leurs femmes les avaient suivis au tribunal. Babœuf, en terminant sa défense, se tourna vers elles, et dit quelles les suivraient jusque sur le calvaire , parce que la cause de leur supplice ne saurait les faire rougir. La haute-cour condamna à mort Babœuf et Darthé ; en entendant leur sentence, ils se frappèrent l’un et l’autre d’un coup de poignard. Babœuf fut le dernier chef du parti de l’ancienne commune et du comité de salut public, qui s’étaient divisés avant thermidor, et qui se rallièrent ensuite. Ce parti allait en s’écoulant chaque jour davantage. De cette époque date surtout sa dispersion et son isolement. Sous la réaction, il avait formé une masse encore compacte ; sous Babœuf, il s’était maintenu en association redoutable. Depuis lors, il n’exista plus que des démocrates ; mais le parti fut désorganisé.
Dans l’intervalle de l’entreprise de Grenelle à la condamnation de Babœuf, les royalistes firent aussi leur conspiration. Les projets des démocrates produisirent un mouvement d’opinion contraire à celui qu’on avait vu après vendémiaire, et les contre-révolutionnaires furent enhardis à leur tour. Les chefs secrets de ce parti espérèrent trouver des auxiliaires dans les troupes du camp de Grenelle, qui avaient repoussé la faction Babœuf. Ce parti, impatient et maladroit, ne pouvant pas se servir de la masse sectionnaire comme en vendémiaire, ou de la masse des conseils comme plus tard au 18fructidor, employa trois hommes sans influence et sans nom, l’abbé Brothier, l’ancien conseiller au parlement, Lavilheurnois, et une espèce d’aventurier, nommé Dunan. Ils s’adressèrent tout simplement au chef d’escadron Malo, pour avoir le camp de Grenelle, et ramener par son moyen l’ancien régime. Malo les livra au directoire, qui les traduisit devant les tribunaux civils, n’ayant pas pu, ainsi qu’il le désirait, les faire juger par des commissions militaires. Ils furent traités avec beaucoup de ménagement par des juges de leur parti, élus sous l’influence de vendémiaire, et la peine prononcée contre eux fut une légère détention. À cette époque, la lutte s’engageait entre toutes les autorités nommées par les sections et le directoire, appuyé sur l’armée. Chacun prenant sa force et ses juges là où est son parti, il en résulta que, le pouvoir électoral se mettant aux ordres de la contre-révolution, le directoire fut réduit à introduire l’armée dans l’état ; ce qui produisit par la suite d’énormes inconvénients.
Le directoire, vainqueur des deux partis dissidents, l’était aussi de l’Europe. La nouvelle campagne s’était ouverte sous les plus heureux auspices. Bonaparte, en arrivant à Nice, signala sa prise de commandement par la plus hardie des invasions. Cette armée avait jusque-là battu le flanc des Alpes. Elle était dénuée de tout, à peine forte de trente mille hommes : mais elle était bien pourvue de courage, de patriotisme, et c’est par son moyen que Bonaparte commença dès-lors cette longue surprise des hommes qui lui a réussi vingt ans. Il leva les cantonnements et s’engagea dans la vallée de Savone pour déboucher en Italie entre les Apennins et les Alpes. Il avait devant lui quatre-vingt-dix mille coalisés, placés au centre, sous d’Argentau ; à la gauche, sous Colli ; à la droite, sous Beaulieu. Cette armée immense fut dispersée en quelques jours par des prodiges de génie et de courage. À Montenotte,
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