Histoire de la Révolution française depuis 1789 jusqu'en 1814
le peuple qui, n’étant point privilégié, trouvait les changements nouveaux très-avantageux, elle recourut à un autre moyen qui lui parut plus sûr ; elle quitta le royaume pour y rentrer ensuite, en mettant l’Europe dans sa querelle. Mais, en attendant que l’émigration pût s’organiser, en attendant qu’elle trouvât à la révolution des ennemis étrangers, elle continua à lui en susciter dans son sein. Les troupes étaient depuis quelque temps travaillées en sens divers, comme il a été dit plus haut. Le nouveau code militaire était favorable aux soldats ; les grades accordés auparavant à la noblesse, il les donnait à l’ancienneté. La plupart des officiers étaient attachés à l’ancien régime, et ils ne s’en cachaient pas. Obligés de prêter le serment d’être fidèles à la nation, à la loi et au roi, qui était devenu le serment commun, les uns quittaient l’armée et allaient grossir les rangs de l’émigration, les autres cherchaient à gagner les soldats à leur parti. Le général Bouillé était de ce nombre : après avoir long-temps refusé le serment civique, il l’avait enfin prêté dans cette intention. Il avait sous son commandement des troupes assez nombreuses ; il était voisin de la frontière du Nord, habile, résolu, attaché au roi, ennemi de la révolution, telle qu’elle était devenue, quoique partisan d’une réforme ; ce qui le rendit par la suite suspect à Coblentz. Il maintint son armée séparée des citoyens, afin qu’elle demeurât fidèle, et qu’elle ne prît pas l’esprit d’insubordination qu’ils communiquaient aux troupes ; il sut aussi conserver, par une conduite ménagée et par l’ascendant d’un grand caractère, la confiance et l’attachement des soldats. Il n’en était pas de même ailleurs. Les officiers étaient l’objet d’un déchaînement général ; on les accusait de diminuer la solde, et de ne rendre aucun compte des masses militaires ; les opinions s’y mêlaient aussi. Ces causes réunies excitèrent des révoltes de la part des soldats ; celle de Nancy produisit de vives alarmes, et devint presque le signal d’une guerre civile. Trois régiments, celui de Châteauvieux, celui de Maistre-de-camp et celui du Roi, s’insurgèrent contre leurs chefs. Bouillé reçut ordre de marcher sur eux ; ce qu’il fit à la tête de la garnison et des gardes nationales de Metz. Après un combat assez vif, il les soumit. L’assemblée l’en félicita ; mais Paris, qui voyait dans les soldats des patriotes, dans Bouillé un conspirateur, fut dans l’agitation à cette nouvelle. Des attroupements se formèrent, et l’on demanda l’accusation des ministres qui avaient donné l’ordre à Bouillé de marcher contre Nancy. Néanmoins La Fayette parvint à dissiper les mécontents, secondé par l’assemblée qui, se voyant entre la contre-révolution et l’anarchie, s’opposait à l’une et à l’autre avec la même sagesse et le même courage.
Les aristocrates triomphaient à la vue des difficultés qui embarrassaient l’assemblée nationale. Il fallait, selon eux, qu’elle se mît dans la dépendance de la multitude, ou qu’elle se privât de son appui ; et, dans l’un et l’autre cas, le trajet à l’ancien régime leur paraissait plus court et plus facile. Le clergé s’y aida pour sa part : la vente de ses biens, qu’il entrava de toutes les manières, s’effectuait à un prix supérieur même à celui qui avait été fixé. Le peuple, délivré de la dîme, et rassuré sur la dette nationale, était loin de se prêter aux ressentiments des évêques : ils se servirent dès lors de la constitution civile du clergé pour exciter un schisme ; ce décret de l’assemblée, comme on l’a vu, ne touchait ni à la discipline, ni aux croyances de l’église. Le roi le sanctionna ; mais les évêques, qui voulaient couvrir leurs intérêts du manteau de la religion, déclarèrent qu’il empiétait sur la puissance spirituelle. Le pape, consulté sur cette mesure, purement politique, y refusa son adhésion, que le roi lui avait demandée avec instance, et il soutint de ses encouragements l’opposition des évêques. Ceux-ci décidèrent qu’ils ne concourraient point à l’établissement de la constitution civile ; que ceux d’entre eux qui seraient supprimés protesteraient contre cet acte non canonique ; que toute érection d’évêché, faite sans le
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