Histoire de la Révolution française depuis 1789 jusqu'en 1814
factions ; son but était de convertir la cour à la révolution, et non de livrer la révolution à la cour. L’appui qu’il offrit était constitutionnel, il ne pouvait pas en proposer d’autre, car sa puissance tenait à sa popularité, et sa popularité à ses principes. Mais il eut le tort de le faire acheter : si ses immenses besoins ne lui avaient pas fait accepter de l’argent et vendre ses conseils, il n’eût pas été plus blâmable que l’inaltérable La Fayette, les Lameth et les Girondins, qui s’abouchèrent successivement avec elle ; mais ni les uns ni les autres n’acquirent jamais la confiance absolue de la cour, qui ne recourait à eux que comme à un pis aller : elle tentait par leur moyen de suspendre la révolution, tandis que, par celui des aristocrates, elle espérait la détruire. De tous les chefs populaires, Mirabeau fut peut-être celui qui exerça le plus d’ascendant sur la cour parce qu’il était le plus entraînant et le plus fort.
Au milieu de tous ces complots et de toutes ces intrigues, l’assemblée travaillait sans relâche à la constitution. Le torrent populaire, après avoir débordé contre l’ancien régime, rentrait peu-à-peu dans son lit. De nouvelles digues le contenaient de toutes parts ; le gouvernement de la révolution s’établissait avec promptitude ; l’assemblée avait donné au nouveau régime son monarque, sa représentation nationale, sa division territoriale, sa force armée, ses pouvoirs municipaux et administratifs, ses tribunaux populaires, sa monnaie, son clergé ; elle avait trouvé une hypothèque pour sa dette, et un moyen de déplacer les propriétés sans injustice.
Toutes les magistratures nouvelles furent temporaires. Sous la monarchie absolue les pouvoirs découlant du trône, les fonctionnaires étaient nommés par le roi ; sous la monarchie constitutionnelle, tous les pouvoirs découlant du peuple, les fonctionnaires furent nommés par lui. Le trône seul fut transmissible, les autres pouvoirs n’étant ni la propriété d’un homme, ni d’une famille, ne furent pas plus viagers qu’héréditaires. La législation de cette époque dépendit d’un principe unique, la souveraineté de la nation. Les fonctions judiciaires eurent elles-mêmes ce caractère de mobilité : le jury, institution démocratique, commune autrefois à tout le continent, et qui n’avait survécu qu’en Angleterre aux envahissements de la féodalité ou du trône, fut introduit dans les causes criminelles. Dans les causes civiles on nomma des juges spéciaux. On établit des tribunaux sédentaires, deux degrés de juridiction pour donner un recours contre l’erreur, et une cour de cassation qui veillât à la conservation des formes protectrices de la loi. Mais les juges furent élus et temporaires : ce redoutable pouvoir, lorsqu’il relève du trône, doit être inamovible pour être indépendant ; mais il peut être temporaire lorsqu’il relève du, peuple, parce qu’en dépendant de tous, il ne dépend de personne.
Dans une autre matière tout aussi importante, le droit de paix et de guerre, l’assemblée décida une question neuve, délicate, et le fit d’une manière prompte, sûre et juste, après une des discussions les plus lumineuses et les plus éloquentes qui aient illustré ses séances. Comme la guerre et la paix tenaient plus à l’action qu’à la volonté, contre la règle ordinaire, elle en donna l’initiative au roi. Celui qui était plus à portée d’en connaître la convenance devait la proposer, mais c’était au corps législatif à la résoudre.
Le 14 juillet approchait, ce jour était pour la nation l’anniversaire de sa délivrance ; on se préparait à le célébrer par une solennité qui élevât l’âme des citoyens et resserrât les liens communs. Une confédération de tout le royaume devait avoir lieu dans le Champ-de-Mars, et là, en plein air, des députés envoyés par les quatre-vingt-trois départements, la représentation nationale, la garde parisienne et le monarque, devaient prêter serment à la constitution. Pour préluder à cette fête patriotique, les membres populaires de la noblesse proposèrent l’abolition des titres, et l’assemblée vit se renouveler une séance semblable à celle du 4 août. Les titres, les armoiries, les livrées, les ordres de chevalerie, furent abolis, et la vanité perdit ses privilèges comme le pouvoir avait perdu les siens.
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