Histoire de la Révolution française depuis 1789 jusqu'en 1814
les bases de la justice et de la liberté.» La situation extérieure n’était pas encore assez alarmante pour amener une pareille mesure de sûreté et de défense révolutionnaire.
Mirabeau ne jouit pas long-temps d’une popularité dont il se croyait si sûr. Cette séance fut la dernière pour lui ; il finit en peu de jours une vie usée par les passions et dans les travaux. Sa mort fut une calamité publique ; tout Paris assista à ses funérailles, la France porta son deuil, et ses restes furent déposés dans la demeure qui venait d’être consacrée aux grands hommes au nom de la patrie reconnaissante. Il n’eut point de successeur en puissance et en popularité, et pendant long-temps, dans les discussions difficiles, les regards de l’assemblée se dirigèrent sur le siège d’où partait cette parole souveraine qui terminait ses débats. Mirabeau, après avoir aidé la révolution de son audace dans ses temps d’épreuve, de sa puissante raison depuis sa victoire, mourut peut-être à propos. Il roula dans sa tête de vastes desseins : il voulait renforcer le trône et consolider la révolution, deux choses bien difficiles en pareil temps. Il est à craindre que la royauté, s’il l’eût rendue indépendante, n’eût voulu soumettre la révolution, ou, s’il eût échoué, que la révolution n’eût aboli la royauté. Peut-être est-il impossible de convertir un pouvoir ancien à un ordre nouveau, peut-être faut-il qu’une révolution se prolonge pour qu’elle se légitime, et que le trône acquière en se relevant la nouveauté des autres institutions.
Depuis les 5 et 6 octobre 1789 jusqu’au mois d’avril 1791, l’assemblée nationale compléta la réorganisation de la France ; la cour se livra à de petites intrigues et à des projets de fuite ; les classes privilégiées cherchèrent de nouveaux moyens de puissance, ceux qu’elles possédaient autrefois leur ayant été successivement enlevés. Elles se servirent de toutes les occasions de désordre que leur fournirent les circonstances, pour ramener l’ancien régime à l’aide de l’anarchie. Au moment de la rentrée des parlements, la noblesse fait protester les chambres de vacations ; lorsque les provinces sont abolies, elle fait protester les ordres ; dès que les départements sont formés, elle tente de nouvelles élections ; dès que les anciens mandats expirent, elle demande la dissolution de l’assemblée ; dès que le nouveau code militaire est décrété, elle provoque la défection des officiers ; enfin, tous ces moyens d’opposition ne la conduisant pas au terme de ses desseins, elle émigre pour exciter l’Europe contre la révolution. De son côté, le clergé, mécontent de la perte de ses biens plus encore que de la constitution ecclésiastique, veut détruire l’ordre nouveau par des soulèvements, et amener les soulèvements par un schisme. Ainsi ce fut pendant cette époque que les partis se désunirent de plus en plus, et que les deux classes ennemies de la révolution préparèrent les éléments de la guerre civile et de la guerre étrangère.
CHAPITRE IV
Politique de l’Europe avant la révolution française ; système d’alliances, suivi par les divers états. – Coalition générale contre la révolution ; motifs de chaque puissance. – Déclaration de Mantoue. – Fuite de Varennes ; arrestation du Roi ; sa suspension. – Le parti républicain se sépare pour la première fois du parti constitutionnel-monarchique. – Ce dernier rétablit le roi. – Déclaration de Pilnitz. – Le roi accepte la constitution ; fin de l’assemblée constituante ; jugement sur elle.
La révolution française devait changer la politique de l’Europe ; elle devait terminer la lutte des rois entre eux, et commencer celle des rois avec les peuples. Cette dernière eût été beaucoup plus tardive, si les souverains eux-mêmes ne l’eussent pas provoquée. Ils voulurent réprimer la révolution, et ils l’étendirent ; car, en l’attaquant, ils devaient la rendre conquérante. L’Europe était alors arrivée au terme du système politique qui la régissait. L’existence des divers états, après avoir été toute intérieure sous le gouvernement féodal, était devenue toute extérieure sous le gouvernement monarchique. La première époque avait fini presque en même temps pour les grandes nations de l’Europe. Alors les rois qui avaient
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