Histoire de la Révolution française depuis 1789 jusqu'en 1814
Cette séance plaça l’égalité partout et mit d’accord les mots avec les choses en détruisant cet attirail d’un autre temps. Les titres avaient autrefois désigné les fonctions ; les armoiries avaient distingué de puissantes familles ; les livrées avaient été revêtues par des armées de vassaux ; les ordres de chevalerie avaient défendu l’état contre l’étranger, ou l’Europe contre l’islamisme ; mais aujourd’hui rien de cela n’était plus. Les titres avaient perdu leur réalité et leur convenance : la noblesse, après avoir cessé d’être une magistrature, cessait même d’être une illustration, et le pouvoir comme la gloire devait sortir des rangs plébéiens. Mais, soit que l’aristocratie tînt plus à ses titres qu’à ses privilèges, soit qu’elle n’attendît qu’un prétexte pour se déclarer ouvertement, cette dernière mesure détermina plus qu’aucune autre son émigration et ses attaques. Elle fut pour la noblesse ce que la constitution civile fut pour le clergé, une occasion bien plus qu’une cause d’hostilité.
Le 14 juillet arriva, la révolution eut peu de journées si belles : le temps seul ne répondit point à cette magnifique fête. Les députés de tous les départements furent présentés au roi, qui les accueillit avec beaucoup d’affabilité ; il reçut aussi les plus touchants témoignages d’amour, mais comme roi constitutionnel. – « Sire, lui dit le chef de la députation bretonne en mettant un genou en terre et en lui présentant son épée, je remets en vos mains l’épée fidèle des braves Bretons, elle ne se teindra que du sang de vos ennemis. » Louis XVI le relève, l’embrasse, lui remet son épée. « Elle ne saurait être mieux, répondit-il, qu’entre les mains de mes chers Bretons, je n’ai jamais douté de leur tendresse et de leur fidélité : « assurez-les que je suis le père, le frère, l’ami de tous les Français. » – « Sire, ajoute le député, tous les Français vous chérissent et vous chériront parce que vous êtes un roi citoyen. »
C’était dans le Champ-de-Mars que devait avoir lieu la fédération ; les immenses préparatifs de cette fête venaient à peine d’être terminés. Paris entier avait concouru pendant plusieurs semaines aux travaux, afin que tout fût prêt le 14. Le matin, à sept heures, le cortège des électeurs, des représentants de la commune, des présidents des districts, de l’assemblée nationale, de la garde parisienne, des députés de l’armée, des fédérés des départements, partirent avec ordre de l’emplacement de la Bastille. La présence de tous les corps nationaux, les bannières flottantes, les inscriptions patriotiques, les costumes variés, les sons de la musique, l’allégresse du peuple, rendaient ce cortège imposant. Il traversa la ville et passa la Seine au bruit d’une salve d’artillerie, sur un pont de bateaux qu’on avait jeté la veille. Il entra dans le Champ-de-Mars, en passant sous un arc de triomphe, décoré d’inscriptions patriotiques. Chaque corps se mit, avec ordre et au bruit des applaudissements, à la place qui lui était destinée.
Le vaste emplacement du Champ-de-Mars était entouré de gradins de gazon occupés par quatre cent mille spectateurs ; au milieu s’élevait un autel à la manière antique ; autour de l’autel, sur un vaste amphithéâtre, on voyait le roi, sa famille, l’assemblée et la municipalité ; les fédérés des départements étaient placés par ordre, sous leur bannières ; les députés de l’armée et la garde nationale étaient à leurs rangs et sous leurs drapeaux. L’évêque d’Autun monta sur l’autel en habits pontificaux ; quatre cents prêtres, revêtus d’aubes blanches et décorés de ceintures tricolores flottantes, se portèrent aux quatre coins de l’autel. La messe fut célébrée au bruit des instruments militaires ; l’évêque d’Autun bénit ensuite l’oriflamme et les quatre-vingt-trois bannières.
Il se fit alors un profond silence dans cette vaste enceinte ; et La Fayette, nommé ce jour-là commandant général de toutes les gardes nationales du royaume, s’avança le premier pour prêter le serment civique. Il fut porté entre les bras des grenadiers sur l’autel de la patrie au milieu des acclamations du peuple ; et il dit d’une voix élevée en son nom, au nom des troupes et des fédérés : – « Nous
Weitere Kostenlose Bücher