Histoire de la Révolution française depuis 1789 jusqu'en 1814
Desmoulins la haranguèrent sur l’autel même de la patrie. Deux invalides qu’on prit pour des espions furent massacrés, et leurs têtes furent placées sur des piques. L’insurrection devenait alarmante ; La Fayette se transporta de nouveau au Champ-de-Mars à la tête de douze cents gardes nationaux. Bailly l’accompagna et fit déployer le drapeau rouge ; on adressa alors à la multitude les sommations exigées par la loi, mais elle refusa de se retirer, et méconnaissant l’autorité, elle cria : À bas le drapeau rouge ! et assaillit de coups de pierres la garde nationale. La Fayette fit tirer les siens, mais en l’air, la multitude ne fut point intimidée et recommença ; alors, contraint par l’obstination des insurgés, La Fayette ordonna une nouvelle décharge, mais celle-ci fut réelle et meurtrière. La multitude effrayée prit la fuite laissant nombre de morts sur le champ de la fédération ; le trouble cessa, l’ordre fut rétabli, mais le sang avait coulé, et le peuple ne pardonna ni à La Fayette ni à Bailly la dure nécessité à laquelle il les avait contraints. C’était un véritable combat dans lequel le parti républicain qui n’était ni assez fort encore ni assez soutenu, fut défait par le parti monarchique constitutionnel. La tentative du Champ-de-Mars fut le prélude des mouvements populaires qui aboutirent au 10 août.
Pendant que ceci se passait dans l’assemblée et dans Paris, les émigrés que la fuite de Louis XVI avait remplis d’espérance furent consternés de son arrestation. Monsieur, qui s’était évadé en même temps que son frère et qui avait été plus heureux que lui, arriva seul à Bruxelles avec les pouvoirs et le titre de régent. Les émigrés ne pensèrent dès lors plus qu’à l’assistance de l’Europe ; les officiers quittèrent leurs drapeaux, deux cent quatre-vingt-dix membres de l’assemblée protestèrent contre ses décrets, afin de légitimer l’invasion ; Bouillé écrivit une lettre menaçante dans l’espoir inconcevable d’intimider l’assemblée, et en même temps pour se charger seul de la responsabilité de son évasion ; enfin l’empereur, le roi de Prusse et le comte d’Artois se réunirent à Pilnitz, où ils firent le fameux traité du 27 juillet qui préparait l’invasion de la France, et qui, au lieu d’améliorer le sort de Louis XVI, l’aurait compromis, si l’assemblée toujours sage n’eût pas suivi ses desseins malgré les menaces de la multitude et celles de l’étranger.
Dans la déclaration de Pilnitz, les souverains considéraient la cause de Louis XVI comme la leur ; ils exigeaient qu’il fût libre de se porter où il voudrait, c’est-à-dire au milieu d’eux ; qu’on le remît sur son trône, que l’assemblée fût dissoute, et que les princes de l’empire possessionnés en Alsace fussent rétablis dans leurs droits féodaux. En cas de refus, ils menaçaient la France d’une guerre à laquelle devaient concourir toutes les puissances qui s’étaient garanti la monarchie française. Cette déclaration irrita l’assemblée et le peuple, loin de les abattre. On se demanda de quel droit les princes de l’Europe intervenaient dans notre gouvernement ; de quel droit ils donnaient des ordres à un grand peuple, et lui imposaient des conditions ; et puisque les souverains en appelaient à la force, on se prépara à la résistance. Les frontières furent mises en défense, cent mille hommes de garde nationale furent levés, et l’on attendit avec assurance les attaques de l’ennemi, bien convaincu que le peuple français serait invincible en révolution et chez lui.
Cependant l’assemblée touchait au terme de ses travaux : les rapports civils, les contributions publiques, la nature des crimes, leur poursuite, leur instruction et leurs peines avaient été aussi sagement réglés que les rapports généraux et constitutionnels. L’égalité avait été introduite dans les successions, dans les impôts et dans les peines ; il ne restait plus qu’à réunir tous les décrets constitutionnels en un seul corps pour les soumettre à l’acceptation du roi. L’assemblée commençait à se fatiguer de ses travaux et de ses divisions ; le peuple lui-même, qui s’ennuie en France de ce qui dure trop, désirait une nouvelle représentation nationale ; la convocation des collèges électoraux fut désignée pour le 25 septembre. Malheureusement les
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