Histoire de la Révolution française depuis 1789 jusqu'en 1814
en même temps des ministres sur lesquels on ne pouvait pas compter en cas de guerre : l’incapacité de Delessart et les intrigues de Molleville prêtaient surtout aux attaques ; Narbonne était le seul qu’ils épargnassent. Ils furent secondés par les divisions du conseil, qui était moitié aristocrate, par Bertrand de Molleville, Delessart, etc., et moitié constitutionnel par Narbonne, et le ministre de l’intérieur Cahier de Gerville. Des hommes aussi opposés d’intentions et de moyens ne pouvaient guère s’entendre ; Bertrand de Molleville eut de vives contestations avec Narbonne, qui voulait faire adopter à ses collègues une conduite franche, décidée, et donner l’assemblée pour point d’appui au trône. Narbonne succomba dans cette lutte, et son renvoi entraîna la désorganisation de ce ministère. Les Girondins accusèrent Bertrand de Molleville et Delessart : le premier eut l’adresse de se justifier ; mais le second fut traduit devant la haute-cour d’Orléans.
Le roi, intimidé par le déchaînement de l’assemblée contre les membres de son conseil, et surtout par le décret d’accusation contre Delessart, n’eut pas d’autre ressource que de choisir ses nouveaux ministres dans le parti victorieux. Une alliance avec les dominateurs actuels de la révolution pouvait seule sauver la liberté et le trône. Elle rétablissait l’accord entre l’assemblée, le pouvoir et la municipalité ; et si cette union s’était maintenue, les Girondins auraient fait avec la cour ce qu’après la rupture ils ne crurent pouvoir faire que sans elle. Les membres du ministère furent, Lacoste à la marine, Clavière aux finances, Duranthon à la justice ; de Grave, bientôt remplacé par Servan, à la guerre ; Dumouriez aux relations extérieures, et Roland à l’intérieur. Ces deux derniers étaient les deux hommes les plus remarquables et les plus importants du conseil.
Dumouriez était âgé de quarante-sept ans lorsque la révolution commença ; il avait jusque là vécu dans l’intrigue, et il s’en souvint trop à une époque où il ne fallait employer les petits moyens que pour aider les grands, et non pour les suppléer. La première partie de sa vie politique se passa à chercher par qui il pourrait parvenir, et la seconde par qui il pourrait se conserver. Courtisan avant 1789, constitutionnel sous la première assemblée, girondin sous la seconde, jacobin sous la république, c’était éminemment un personnage de position. Mais il avait toutes les ressources des grands hommes : un caractère entreprenant, une activité infatigable, un coup-d’œil prompt, sûr, étendu ; une impétuosité d’action et une confiance dans le succès extraordinaires ; et, en outre, il était ouvert, facile, spirituel, hardi, propre aux fonctions et aux armes, plein d’expédients, étonnant d’à-propos, et, dans une position, sachant s’y soumettre pour la changer. Il est vrai que ses grandes qualités se trouvaient affaiblies par quelques défauts. Il était hasardeux, léger, et d’une grande inconstance de pensées et de moyens, à cause de son besoin continuel d’action : mais le grand défaut de Dumouriez était l’absence de toute conviction politique. En liberté comme en puissance, on ne fait rien, dans un temps de révolution, si l’on n’est pas l’homme d’un parti, et, lorsqu’on est ambitieux, si l’on ne voit pas plus loin que son but, et si l’on ne veut pas plus fort que les siens. C’est ainsi que fit Cromwell, et qu’a fait Bonaparte ; tandis que Dumouriez, après avoir été l’employé des partis, crut pouvoir les vaincre tous avec des intrigues. Il lui manquait la passion de son temps : c’est ce qui complète un homme et seul peut le rendre dominateur.
Roland était l’opposé de Dumouriez. C’était un caractère que la liberté trouvait tout fait, comme si elle l’avait formé elle-même, Roland avait des manières simples, des mœurs austères, des opinions éprouvées ; il aimait la liberté avec enthousiasme, et il était capable de lui consacrer avec désintéressement sa vie entière, ou de périr pour elle sans ostentation et sans regret. Homme digne d’être né dans une république, mais déplacé dans une révolution, et peu propre aux troubles et aux luttes des partis, ses talents n’étaient pas supérieurs ; son caractère était un peu roide ; il ne savait ni connaître ni manier les
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