Histoire de la Révolution française depuis 1789 jusqu'en 1814
hommes ; et, quoiqu’il fût laborieux, éclairé, actif, il eût peu marqué sans sa femme. Tout ce qui lui manquait, elle l’avait pour lui ; force, habileté, élévation, prévoyance. Madame Roland fut l’âme de la Gironde : c’est autour d’elle que se réunissaient ces hommes brillants et courageux, pour s’entretenir des besoins et des dangers de la patrie ; c’est elle qui excitait ceux qu’elle savait propres à l’action, et poussait à la tribune ceux qu’elle savait éloquents.
La cour nomma ce ministère le ministère sans-culotte. La première fois que Roland se présenta au château, avec des cordons aux souliers et en chapeau rond, contre les règles de l’étiquette, le maître des cérémonies refusa de l’admettre. Mais, forcé de le laisser entrer, il s’adressa à Dumouriez en montrant Roland : « Eh ! monsieur, point de boucles à ses souliers ! » Ah ! monsieur, tout est perdu ! répliqua Dumouriez avec le plus grand sang-froid. Telles étaient encore les préoccupations de la cour ! La première mesure du nouveau ministère fut la guerre. La position de la France devenait de plus en plus dangereuse, et il y avait tout à craindre des mauvaises volontés de l’Europe. Léopold était mort, et cet événement était propre à accélérer les déterminations du cabinet de Vienne. Son jeune successeur, François II, devait être moins pacifique ou moins prudent que lui. D’ailleurs l’Autriche réunissait ses troupes, traçait des camps, désignait des généraux ; elle avait violé le territoire de Bâle, et placé une garnison dans le pays de Porentruy, pour se ménager une entrée dans le département du Doubs. Il ne restait donc aucun doute sur ses projets. Les attroupements de Coblentz avaient recommencé en plus grand nombre ; le cabinet de Vienne n’avait momentanément dispersé les émigrés réunis dans les provinces belgiques, que pour prévenir l’invasion de ce pays, qu’il n’était pas encore prêt à repousser : mais il n’avait voulu que sauver les apparences, et il souffrait à Bruxelles un état-major d’officiers généraux en uniforme et avec la cocarde blanche. Enfin les réponses du prince de Kaunitz aux explications demandées n’étaient nullement satisfaisantes. Il refusait même de traiter directement, et le baron de Cobentzel avait été chargé de répondre que l’Autriche ne se départirait pas des conditions imposées. Le rétablissement de la monarchie sur les bases de la séance royale du 23 juin, la restitution de ses biens au clergé, des terres de l’Alsace, avec tous leurs droits, aux princes allemands, d’Avignon et du comtat Venaissin au pape, tel était l’ultimatum de l’Autriche. Ainsi tout accord cessait d’être possible ; il ne fallait plus compter sur le maintien de la paix. La France était menacée du sort que venait de subir la Hollande, et peut-être de celui de la Pologne : toute la question se réduisait à attendre ou à devancer la guerre, à profiter de l’enthousiasme du peuple, ou à le laisser se refroidir. Le véritable auteur de la guerre n’est pas celui qui la déclare, mais celui qui la rend nécessaire.
Louis XVI se présenta le 20 avril à l’assemblée, accompagné de tous ses ministres. « Je viens, messieurs, dit-il, au milieu de l’assemblée nationale pour un des objets les plus importants qui doivent occuper l’attention des représentants de la nation. Mon ministre des affaires étrangères va vous lire le rapport qu’il a fait dans mon conseil sur notre situation politique. » Dumouriez prit alors la parole ; il exposa les griefs que la France avait contre la maison d’Autriche ; le but des conférences de Mantoue, de Reichenbach et de Pilnitz ; la coalition qu’elle avait formée contre la révolution française ; ses armements, devenus plus considérables ; la protection ouverte qu’elle accordait aux corps d’émigrés ; le ton impérieux et les lenteurs affectées de ses négociations ; enfin, les conditions intolérables de son ultimatum ; et, après une longue série de considérants, motivés sur la conduite hostile du roi de Hongrie et de Bohême (François II n’avait pas encore été élu empereur), sur les circonstances majeures où la nation se trouvait, sur son vœu bien prononcé de ne souffrir aucun outrage ni aucune atteinte à ses droits, sur l’honneur et la bonne foi de Louis XVI, qui était
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