Histoire de la Révolution française depuis 1789 jusqu'en 1814
fortes pour une pareille entreprise. À peine Dillon eut-il débouché la frontière et rencontré l’ennemi, qu’une terreur panique s’empara de ses troupes. On cria dans les rangs, sauve qui peut ! et il fut entraîné par les siens, qui le massacrèrent. La même chose eut lieu, et avec les mêmes circonstances, dans le corps de Biron, qui fut également obligé de se retirer en désordre sur ses anciennes positions. Cette fuite subite, et commune aux deux colonnes, doit être attribuée ou à la crainte de l’ennemi de la part de troupes qui n’avaient pas encore vu le feu, ou à la défiance qu’inspiraient les chefs, ou à des malveillants qui criaient à la trahison.
La Fayette, en arrivant à Bouvines, après avoir fait cinquante lieues en quelques jours et par de mauvais chemins, apprit les désastres de Valenciennes et de Lille ; il vit que le but de l’invasion était manqué, et il pensa avec raison qu’il n’y avait rien de mieux à faire que d’opérer la retraite. Rochambeau se plaignait de la précipitation et du décousu des mesures qui lui avaient été prescrites de la manière la plus absolue. Comme il ne voulait pas rester une pièce passive, obligé de jouer au gré des ministres une partie dont il devait avoir la conduite, il donna sa démission. Depuis ce moment notre armée reprit la défensive. La frontière ne fut plus divisée qu’en deux commandements généraux, dont l’un, confié à La Fayette, s’étendit de la mer à Longwy, et dont l’autre, de la Moselle au Jura, appartint à Luckner. La Fayette mit la gauche de son armée sous les ordres d’Arthur Dillon, et toucha par sa droite à Luckner, qui eut Biron pour lieutenant sur le Rhin. C’est dans cet état qu’on attendit les coalisés.
Cependant les premiers échecs augmentèrent la désunion des Feuillants et des Girondins. Les généraux en attribuaient la cause au plan de Dumouriez. Le ministère la rejetait sur la manière dont l’avaient exécuté les généraux, qui tous, placés par Narbonne, étaient du parti constitutionnel. Les Jacobins accusaient, d’autre part, les contre-révolutionnaires d’avoir occasionné la déroute par des cris de sauve qui peut ! Leur joie, qu’ils ne cachaient pas, leur espérance de voir bientôt les confédérés à Paris, les émigrés de retour, et l’ancien régime rétabli, confirmaient les soupçons. On crut que la cour, qui avait porté la garde soldée du roi de dix-huit cents hommes à six mille, et qui l’avait composée de contre-révolutionnaires choisis, était d’accord avec la coalition. On dénonça, sous le nom de comité autrichien, un comité secret dont on ne put pas prouver l’existence. La défiance était à son comble.
L’assemblée prit sur-le-champ des mesures de parti : elle entrait dans la carrière de la guerre, et dès lors elle était condamnée à régler sa conduite beaucoup moins d’après la justice que d’après le salut public. Elle se mit en permanence ; elle licencia la garde soldée du roi ; le redoublement des troubles religieux lui fit porter un décret d’exil contre les prêtres réfractaires, afin de n’avoir pas en même temps à combattre une coalition et à apaiser des révoltes. Pour réparer les dernières défaites et avoir près de la capitale une armée de réserve, elle adopta, sur la proposition du ministre de la guerre Servan, la formation sous Paris d’un camp de vingt mille hommes, tirés des départements. Elle chercha également à exalter les esprits par des fêtes révolutionnaires, et elle commença à enrôler la multitude par un armement de piques, pensant que ce n’était pas trop de toutes les assistances dans un aussi grand danger.
Toutes ces mesures ne furent pas adoptées sans l’opposition des constitutionnels. Ils combattirent l’établissement du camp des vingt mille hommes, qu’ils considérèrent comme une armée de parti appelée contre la garde nationale et contre le trône. L’état-major de celle-ci protesta, et la recomposition de ce corps fut aussitôt opérée au profit du parti dominant. On fit entrer dans la nouvelle garde nationale des compagnies armées de piques. Les constitutionnels furent encore plus mécontents de cette mesure, qui introduisait la classe inférieure dans leurs rangs, et qui leur paraissait avoir pour but d’annuler la bourgeoisie par la populace. Enfin ils condamnaient d’une manière ouverte le bannissement des prêtres, qui
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