Histoire du Consulat et de l'Empire
parfois un métier à tisser lorsqu'il travaille à domicile, mais c'est alors sa seule richesse. Pour l'essentiel, l'ouvrier ne laisse donc rien après sa mort. Cette absence de richesse n'est toutefois pas une raison suffisante pour se révolter ou pour se dresser contre un régime, fût-il dictatorial. Globalement, si le monde ouvrier est resté calme, c'est parce que ses conditions de vie ne se 167
LA NAISSANCE D'UNE MONARCHIE (1804-1809)
sont pas dégradées ; elles se sont même plutôt améliorées, au moins dans les premières années de l'Empire.
Sa passivité tient aussi à sa très grande hétérogénéité. Que représente un ouvrier dans la France impériale ? Qu'y a-t-il de commun entre un paysan qui complète ses revenus par la fabrication de produits à domicile, un artisan parisien et un ouvrier de manufacture ?
Ils appartiennent au même monde, sans que, pour autant, un quelconque lien s'établisse entre eux. Cette absence de relations condamne toute mobilisation éventuelle contre le régime. Bien plus, l'ouvrier-paysan reste fortement lié au monde rural, tandis que l'ouvrier-artisan lorgne vers la petite bourgeoisie urbaine. Malheureusement, à la différence des principaux ténors du régime impérial ou même des soldats de la Grande Armée, les ouvriers ont laissé très peu de témoignages sur leur existence et les sentiments qui les animaient au cœur de la période impériale. L'un d'entre eux toutefois a pris la plume pour raconter sa vie. Natif de la région d'Orléans, Jacques-Etienne Bédé a dix-neuf ans en 1793 lorsqu'il est envoyé se battre aux frontières de la France. Il reste cinq ans à l'armée, parcourant notamment l'Allemagne. Puis, lorsque les difficultés militaires s'abattent sur le pays, en 1799, il décide avec plusieurs de ses compagnons d'armes de déserter et rejoint sa famille dans l'Orléanais. Il y reprend son métier de tourneur en chaises avant de se marier en septembre 1801 . Il reste alors sous la menace de la gendarmerie, comme déserteur, jusqu'à ce que l'amnistie d'avril 1802 lui permette de sortir complètement de la clandestinité.
Après plusieurs années passées à Châteauneuf, il part pour Tours où il trouve un emploi chez un fabricant de chaises, grâce à l'aide des compagnons présents dans la ville. En 1812, la crise qui frappe la France le chasse de Tours ; il gagne Paris. Cet itinéraire d'un ouvrier qualifié qui travaille dans l'industrie du meuble confirme la reprise économique des années 1800-1810. Dans son secteur d'activité, il a bénéficié de l'enrichissement des classes bourgeoises qui ont réorganisé leur intérieur, notamment en ville, après la fin des troubles révolutionnaires. Sous sa plume, on ne retrouve cependant aucune allusion au climat politique. Certes, il écrit sous la Restauration, mais son manuscrit n'est pas destiné à la publication. Il faudrait donc y voir une certaine indifférence à l'égard du régime impérial.
Seules les crises économiques le touchent, mais il ne formule aucune remarque sur la situation militaire du pays et n'émet aucune critique contre l'Empire. Incidemment, il avoue avoir appelé son second fils, né en 1806, Charles-Napoléon. On ne saurait tirer de ce très frêle indice une preuve de l'adhésion de tous les ouvriers à l'Empereur, mais il est révélateur d'une certaine attirance pour l'Empire. C'est un fait que le monde ouvrier n'a pas pâti des premières années de l'Empire.
Les années 1800-1810 sont marquées par une réelle croissance industrielle, difficile à chiffrer et variable selon les régions et les 168
LES BASES SOCIALES DU RÉGIME
secteurs. Toutes formes de travail confondues, l'industrie textile reste en pointe. Elle emploie plus de la moitié des ouvriers, qu'ils travaillent en usine ou à domicile. Certes, les productions les plus traditionnelles subissent un certain déclin, comme l'industrie du lin et du chanvre, voire l'industrie lainière qui n'a pas retrouvé son niveau de production de 1789 ; le tissage de la laine a disparu dans une trentaine de départements appartenant notamment à la Bretagne, à l'Aquitaine ou au centre de la France. Dans la région de Sedan, la reprise de l'industrie drapière est freinée par le manque de maind'œuvre. En revanche, l'industrie du coton est en plein essor. Elle revitalise les économies de la Normandie, de la région de Mulhouse ou du nord de la France. Les patrons du · coton ont notamment
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