Histoire du Consulat et de l'Empire
menace quinze ans après la nuit du 4 août, surtout lorsque l'on sait que, au début des années 1870, Gambetta en usera encore avec bonheur. La préservation des conquêtes révolutionnaires reste bien la raison majeure de l'adhésion du peuple à l'Empereur. C'est aussi pourquoi Napoléon s'emploie à justifier tous les actes qui pourraient paraître y contrevenir. Il rappelle ainsi que les titres qu'il crée en 1808 ne rétablissent pas la noblesse d'Ancien Régime et précise qu'ils ne donnent droit à aucun privilège. La hantise du retour des privilèges est omniprésente au sein de la paysannerie. Le principe d'égalité civile sur lequel repose leur abolition a cependant une contrepartie que ne comprennent pas toujours les paysans.
En certaines régions, la remise en cause du droit d'aînesse, contraire à ce principe d'égalité, brise une tradition très ancienne et remet en cause la structure foncière du pays. Le Code civil stipule, en effet, que le partage des biens devra s'opérer à part égale, au décès des parents. Cette disposition menace les patrimoines lentement constitués et agrandis au gré des alliances matrimoniales. Ses effets à court terme sont cependant difficiles à mesurer. Ce n'est pas sous l'Empire mais plutôt dans les décennies qui vont suivre que la mesure donne son plein effet. Elle a toutefois contribué à accélérer un mouvement de contrôle des naissances qui se dessinait déjà en France dans la deuxième moitié du XVIIIe siècle. Dans le Sud-Ouest par exemple, la naissance d'un fils est de plus en plus souvent la dernière au sein des familles paysannes. Ailleurs, en terre catholique, dans le Pays basque ou dans le Gévaudan, une nouvelle politique matrimoniale se développe qui maintient les cade!s dans le célibat, les poussant vers l'émigration, voire le sacerdoce. A ce titre, la forte reprise des vocations religieuses attestée dès la fin de l'Empire, en 166
LES BASES SOCIALES DU RÉGIME
particulier dans les terres de chrétienté, est sans doute l'un des effets de la disparition du droit d'aînesse, l'aîné gardant la terre tandis que le cadet gagne le séminaire. Malgré son ressentiment à l'égard de cette mesure, la paysannerie s'adapte, avec pour principale motivation la conservation du patrimoine. Il est vrai que la suppression du droit d'aînesse s'est accompagnée, à travers le Code civil, d'une protection de la famille qui est au cœur de la société paysanne. La famille s'identifie à l'exploitation, qu'elle soit mononucléaire, c'est-à-dire réduite aux parents et à leurs enfants, ou qu'elle s'élargisse, cas encore fréquent, aux ascendants et aux collatéraux.
La solidarité familiale renforcée par le Code civil ne peut que séduire un monde paysan attaché à la conservation de ses biens et de ses traditions. Elle a pour conséquence de chasser les « parias »
de la communauté. Jeunes femmes enceintes ou jeunes gens en rupture de ban partent vers la ville. La paysannerie peut donc avoir l'impression d'avoir reconstitué un certain ordre social préexistant à la Révolution, tout en conservant les acquis de 1789. La permanence des familles de paysans propriétaires au sommet de la communauté, le retour des familles nobles qui reprennent un ascendant réel sur « leurs paysans », par exemple au travers de la fonction de maire, le rétablissement du pouvoir ecclésiastique incarné par le curé, concourent à cette impression de pérennité que le monde paysan ne cherche pas à bouleverser. Les paysans ne représentent donc pas un danger sérieux pour la dictature napoléonienne. Au contraire, jusqu'aux années 1810, le soutien de la paysannerie, autant qu'on puisse en juger, est généralement acquis à l'Empereur, parce qu'il a su préserver les acquis de la Révolution tout en rétablissant, à travers le droit et la religion, les formes traditionnelles de la vie en société.
2. LE SILENCE DES OUVRIERS
Les craintes du régime à l'égard du monde ouvrier pouvaient être plus grandes. Le peuple de Paris avait été l'animateur principal des journées révolutionnaires de la décennie 1790. À la différence des paysans attachés à leurs terres, l'ouvrier n'a rien à perdre à se révolter, sinon la vie. Il n'est pas propriétaire. Comme le dira Napoléon, il ne possède que son temps, d'autres diront sa force de travail. C'est ce qui distingue, au sein du monde artisanal, le patron de l'ouvrier.
Au mieux possède-t-il
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