Histoire du Consulat et de l'Empire
l'époque suscite encore de passions, chez les inconditionnels de l'Empire qui s'indignent dès que l'on touche à un cheveu de leur idole, comme chez les adversaires irréductibles d'un régime immédiatement rangé au rayon des dictatures militaires. Pourtant, comme toute période de l'histoire, le Consulat et l'Empire méritent d'être analysés pour eux-mêmes, sans préjugés, et sans omettre de les replacer dans leur contexte.
Sur le plan intérieur, le bilan de l'œuvre napoléonienne est considérable et peut se mesurer à sa longévité. Les réformes administratives, judiciaires, scolaires, financières et religieuses ont dressé les cadres d'un nouvel État. La France moderne naît véritablement au tournant des XVIIIe et XIXe siècles. Certes, le Consulat et l'Empire n'inventent pas de toutes pièces ces nouvelles institutions. Le préfet se coule dans le cadre départemental établi à l'époque de la Révolution, les lycées héritent des écoles centrales fondées sous la Convention, le Code civil n'est que le fruit de nombreux projets élaborés dans la décennie précédente, le fameux « franc germinal » lui-même existait avant 1803 et le cadastre est la conséquence de l'égalité fiscale définie dès 1789. Pour autant, l'œuvre du Consulat, plus encore que de J'Empire, reste considérable, en premier lieu parce que, même si elles étaient à l'état de projet, ces réformes n'ont pu aboutir que dans les premières années du XIXe siècle. L'action personnelle de Napoléon Bonaparte est indéniable, mais il n'a pu parvenir à ces réformes qu'en s'appuyant sur des collaborateurs nombreux et parce qu'il réussit à maîtriser d'éventuelles oppositions, au sein d'assemblées contrôlées. Le régime autoritaire a favorisé l'élaboration d'une législation extrêmement riche. C'est là que se situe le paradoxe de ce régime. Ses successeurs, qu'ils soient royalistes ou républicains, le dénoncent comme un régime dictatorial, mais ils ne 439
CONCLUSION
remettent pas en cause fondamentalement l'œuvre accomplie, reconnaissant en quelque sorte le bien-fondé des mesures prises sous Napoléon. Il est vrai que ce dernier avait su d'emblée rassembler les hommes et fédérer les idées. Il est assurément l'homme de la synthèse, parvenant à rallier à lui, dès le 18-Brumaire, une grande partie des révolutionnaires auxquels viennent se joindre, au fil des ans, les fidèles de l'Ancien Régime. Certes, une opposition demeure, mais Napoléon a su utiliser les talents, militaires et politiques, qui s'offraient à lui. C'est d'ailleurs pour reconstituer ce vivier qu'il met tant d'ardeur à créer des lieux de formation pour les futures élites. La très grande stabilité de c� personnel politique, que ce soit au gouvernement ou au Conseil d'Etat, explique pour partie l'œuvre entreprise. Napoléon est loin d'être isolé. Qui plus est, il a su tisser des liens durables avec les hommes de son entourage, gage de continuité dans l'action politique. Il a su aussi récupérer tout un personnel formé sous la Révolution et qui trouve à s'employer dans les nouvelles fonctions définies sous le Consulat. Se constitue ainsi un groupe de hauts fonctionnaires, d'administrateurs, de parlementaires qui forment une classe politique dont le destin est durable.
L'Empire lègue ses hommes au XIX" siècle, la monarchie restaurée puisant à plein tonneau dans ce personnel napoléonien. Par ce biais, l'Empire impose un style, une méthode de travail, une conception même de l'Etat qui sont l'un des traits majeurs de la fonction publique et du monde politique au XIX· siècle.
Pourtant, l'œuvre accomplie l'a été au prix des libertés conquises en 1789. Si la liberté de conscience n'est pas fondamentalement remise en question, en revanche, la liberté individuelle et la liberté d'expression sont bafouées. La police a vu ses pouvoirs renforcés, les activités politiques sont interdites, les groupes et les associations sont surveillés, la presse est censurée. Quant aux droits des assemblées, ils sont fortement limités par un mode d'élection qui permet de contrôler leur composition et par une pratique qui réduit presque à néant tout débat parlementaire. Cette privation des libertés est partiellement consentie, par les notables en premier lieu qui, en se ralliant au régime, assoient sa légitimité, par le peuple ensuite qui se satisfait apparemment de la stabilité politique retrouvée et de
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