Hitler m'a dit
décisive qui fera réussir leur travail. Il y a là quelque chose qui dépasse la courtisanerie. Hjalmar Schacht ne proclame-t-il pas qu’il sort toujours du cabinet d’Hitler avec un courage nouveau ?
Le Führer n’a donc aucune peine, dans le Sans-Souci qu’il s’est construit, à se tenir pour l’égal de Frédéric II qui, entre ses guerres et avant la dernière et la plus acharnée, savait mener de front la vie d’un philosophe, d’un poète et d’un musicien, et celle d’un homme d’État et d’un grand capitaine, posant ainsi les fondations de sa victoire et de ses succès. Comme chez Frédéric, les pensées d’Hitler tournent autour de la guerre inévitable qu’il souhaite et qu’il redoute à la fois. Car son horoscope le met en garde contre la guerre. Dans la guerre, il doit, dit l’astrologue, perdre tout ce qu’il aura gagné. Cette prophétie le trouble ; mais son ambition le ramène toujours, invinciblement, à s’occuper des problèmes militaires. Depuis longtemps, la passion de la stratégie s’est emparée de lui. Il n’en veut connaître que le côté séduisant, où tout dépend des combinaisons et des trouvailles. Le travail fastidieux des calculs, de l’examen approfondi des détails, n’est pas de son goût. Il s’impatiente vite et se fatigue. Tracer des esquisses géniales, en quelques traits, voilà qui suffit à sa satisfaction et l’emplit d’une joie sans mélange.
En revanche, il travaille jour et nuit, avec la plus sérieuse attention et l’acharnement le plus tenace à ses plans de politique étrangère. Dans ce domaine, il n’est jamais à court d’idées : elles lui viennent à foison, il les passe au crible, les retient, les abandonne. C’est là un jeu compliqué. Tous les fils sont réunis entre ses mains. Il possède ses propres sources d’information. Il commande à un appareil gigantesque. Il dispose d’une documentation immédiatement disponible sur chaque question. Son regard s’étend sur tout le globe. Quel échiquier, quelles possibilités de coups d’échecs ! Prendre de l’influence sur les dirigeants les plus importants. Connaître à fond ces personnalités, être informé de leurs passions, de leurs goûts, de leurs fréquentations, cela, c’est la politique. Des femmes sont ses espionnes. Des femmes d’une attirante beauté jouent un rôle dans ses combinaisons politiques. Quel type de femme aime celui-ci, préfère celui-là ? Ce sont des questions importantes, aussi importantes que le nombre des avions et des sous-marins. Il opère avec délicatesse, avec la plus grande prudence. Ce ne sont pas toujours des chefs d’État ou des dictateurs, ce sont aussi des banquiers importants, des politiciens étrangers, des généraux qu’il cherche à séduire. On apprend ainsi, à l’occasion, des secrets d’État, on gagne tout au moins de l’influence. Et tout cela n’est pas une rêverie puérile ni plagiat de romans d’espionnage. Trop souvent c’est de l’histoire pure et simple. Un homme commande à un bataillon de femmes. Elles lui obéissent, fidèlement, pour le succès de son œuvre.
En vérité, il a bien raison de dire que notre temps n’est plus une époque bourgeoise. On y voit renaître les méthodes de la Renaissance, les vices de la décadence romaine, avec les mœurs de Byzance ou celles d’une cour mérovingienne. Et c’est Hitler qui est installe au centre de ces intrigues, Hitler qui se nomme lui-même le plus grand disciple de Machiavel, et qui cependant ne pourra jamais renier son origine de petit tâcheron aigri et rancunier. Cela est absurde, cela est ridicule. Et cependant, c’est la réalité. Une réalité qu’on eut mieux fait de prendre au sérieux, quand il en était temps encore.
XLV
LE NOUVEAU MACHIAVEL
Hitler m’a dit avoir lu et relu Le Prince du grand Florentin. À son avis, ce livre serait indispensable à tout homme politique. Pendant longtemps, il n’avait pas quitté le chevet d’Hitler. La lecture de ces pages uniques, disait-il, était comme un nettoyage de l’esprit. Elle l’avait débarrassé de quantité d’idées fausses et de préjugés. Ce n’est qu’après avoir lu Le Prince qu’il avait compris ce qu’est vraiment la politique. « J’ai souvent songé, me dit-il, dans un entretien que j’eus avec lui après mon retour de Genève, à rédiger un Précis des faiblesses humaines. Nous faisons bien de spéculer plutôt sur les vices que sur les vertus
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