Hitler m'a dit
gonflent, ondulent, bouillonnent, fleurissent en une éloquence prolixe et brutale qui n’appartient qu’à lui et que la radio nous a trop fait connaître. Les transcriptions de M. Rauschning sont d’une fidélité phonographique. Hitler lui-même, virtuose du mensonge, ne les pourrait renier qu’en propos du même ton et de la même saveur.
Voici donc que tombe dans le domaine public, grâce à M. Rauschning, le plan totalitaire et, si l’on peut dire, la dernière pensée d’Hitler. Sa dernière pensée, son testament, plutôt que sa « doctrine secrète ». Hitler n’a pas de doctrine et il n’a pas de secret. Les conquérants n’ont pas de doctrine, qu’ils s’appellent Alexandre, Hannibal, Tamerlan, Napoléon ou Bismarck. Seul Mahomet avait une doctrine ; encore n’est-il pas bien sûr qu’il ait dicté lui-même les surates du Coran, et quand à Marc-Aurèle, sa doctrine n’avait rien à voir avec ses conquêtes. Ce qui est vrai, des grands conquérants l’est aussi des tyrans de taille plus mesquine. Ce qu’Hitler appelle sa doctrine, en dehors des oripeaux décoratifs qu’il a empruntés, au hasard de ses médiocres lectures, à Machiavel, à Wagner, a Gobineau, à Nietzsche, aux pangermanistes du XIX e siècle, à Sorel, à Lénine et surtout à de plus basses sources, aux élucubrations de Ludendorff, de Rosenberg et de Haushoffer, c’est tout simplement le culte de la force, qui prime et supprime non seulement le droit, mais aussi toute morale et toute activité désintéressée de l’esprit. Ce n’est même pas le plus bas niveau de la négation méphistophélique ; le docteur Faust n’eût pas supporté cinq minutes d’entretien avec un diable taillé sur le patron d’Hitler. C’est la philosophie du lansquenet dans la taverne d’Auerbach.
Hitler n’a pas de doctrine ; il a des appétits et des desseins, ce qui est tout autre chose. Des appétits monstrueux et une accumulation de plans raffinés ou grossiers, ingénieux ou puérils, complémentaires ou contradictoires, qu’il caresse et fignole à longueur de journée et qu’il s’efforce de combiner en un système cohérent. Hitler n’a pas non plus de secret : il veut faire croire qu’il a un secret et peut-être s’en convaincre lui-même. Détenu à la forteresse de Landshut après l’échec de son premier « putsch », il a échafaudé, pour les besoins de sa propagande, une esquisse provisoire de son grand dessein : c’était le manuscrit de Mein Kampf , du plus fastidieux et méchant livre de toute la littérature allemande, vulgairement écrit pour le vulgaire. Le plan de Mein Kampf en valait un autre : tant mieux si les pédants examinaient à la loupe et prenaient à la lettre cette improvisation de jeunesse. Plus tard, il a conçu et construit des plans de rechange, encore plus ambitieux et plus vastes, et il a pris l’habitude d’en confier des parcelles et des bribes à une demi-douzaine de collaborateurs privilégiés, dont chacun chuchotait ensuite à une douzaine d’amis ce qu’il avait cru comprendre. Hitler savait fort bien qu’il en était ainsi. Il « parlait » ses plans, toutes portes fermées, parce qu’il se savait incapable de penser et d’inventer autrement qu’en parlant ; il lui convenait d’éprouver aux réactions de ses confidents, les variations qu’il improvisait sur un tout petit nombre de thèmes ; il lui plaisait enfin d’ouvrir a ces privilégiés la perspective d’une architecture lointaine et mythique, dont il ne pouvait encore leur dévoiler que les tout premiers degrés. Le véritable secret d’Hitler, celui qu’il ne révèle à personne, mais que font deviner, presque à chaque page, les précieux souvenirs de M. Rauschning, c’est que le Führer du Troisième Reich méprise sa propre pensée à l’égal de celle d’autrui, que l’activité de son esprit est essentiellement négative, qu’il n’attache à ses plus brillantes trouvailles qu’une valeur tactique et que sa vraie force est de croire obstinément à son étoile, mais de ne croire à rien d’autre, à rien surtout de ce qu’il pense ou de ce qu’il dit. L’utile est la seule mesure du vrai ; une thèse vaut l’autre, pourvu quelle étonne et déroute, quelle trouble et mette en état de moindre résistance le plus grand nombre possible d’esprits. Se plier aux exigences du raisonnement et de la vraisemblance, convenir que deux et deux font quatre, c’est accepter la
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