L'avers et le revers
Avant-propos de l’auteur
C’est en 1976 que mon père écrivit le premier tome de sa
saga historique dont le titre, Fortune de France , donna son nom à toute la
série. Près de trente ans d’un labeur acharné, que seule la mort interrompit en
2004, pour produire treize volumes sur une période historique si longue qu’il
fallut en changer de héros, délaisser Pierre de Siorac pour son fils,
Pierre-Emmanuel, afin de poursuivre le temps sans relâche, et ce jusqu’au début
du règne de Louis XIV, alors que le début de la série évoque les campagnes
de François I er effectuées par le père de Pierre, le baron Jean
de Mespech.
Être le fils de l’auteur ne me donne aucun droit particulier
à animer de nouveau les personnages de cette série. Je n’en ai pas non plus,
pour cette simple raison, un interdit supplémentaire. Du reste, la série est
close, irréparablement, et nous ne connaîtrons jamais la suite des aventures de
Pierre-Emmanuel, ni les traverses qu’il aurait « encontrées » à la
cour du Roi-Soleil.
Non, le livre que voici est tout autre chose et je dois
assurément des explications. Le projet de ressusciter les personnages du
premier volume de la série, de leur redonner souffle et passion, joies et
larmes, n’est pas un sacrilège mais, tout au rebours, un hommage qui leur est
rendu. Si l’illusion de leur existence a imprégné tant de lecteurs, lesquels
ont suivi leurs péripéties avec une émouvante fidélité, c’est sans doute qu’elle
suscite une part de nous-même, vécue ou rêvée. Et dans cette entreprise,
délicate on en conviendra, j’eus l’impression que mon père lui-même m’ouvrait
la porte et m’encourageait à aller de l’avant. L’écriture, ici, fut aussi une
nostalgie du passé et un improbable dialogue avec mon père disparu. Il me plaît
de penser à présent qu’il serait heureux de ce livre, se sachant lui-même
devenu impuissant à poursuivre.
Pour que la magie de cette renaissance puisse opérer, il
fallait utiliser la même langue composite qui donna sa saveur à la série,
mêlant à notre langue moderne des archaïsmes du XVI e siècle [1] .
Je m’y suis plié sans hésitation, convaincu que le projet l’exigeait, et le
plaisir que j’y pris fut ma principale récompense. Que le lecteur y retrouve le
même bonheur qu’à la lecture de Fortune de France serait à coup sûr une
autre récompense, et non des moindres.
« Miroul sera votre sujet.
Qu’il sache bien qui de vous ou de lui est le maître. Mais traitez-le selon ses
mérites, qui ne sont pas petits, et oyez ses conseils. Par la misère qui fut
son lot en son enfance, il connaît le monde mieux que vous. »
JEAN DE SIORAC
Fortune de France,
tome I
Chapitre I
J’espère que le lecteur me pardonnera de le venir troubler
en sa douce quiétude. S’il vient de refermer le dernier volume des Mémoires de
mon maître, Pierre de Siorac, et s’il galope encore à brides avalées sur les
chemins de cette belle histoire de France que celui-ci a contée avec tant de
verve, il lui faudra grand courage pour se pencher derechef sur la famille
Siorac, mais aussi sur ma modeste personne. Car je n’ai, n’ayant point accompli
mes humanités, ni le talent ni la disposition d’esprit pour éblouir le lecteur
dans des récits épiques.
Ceux qui n’ont pas la mémoire qui s’effrite comme de
l’argile au soleil se souviennent sans doute que je suis né loin des
vertugadins et des pourpoints brodés, au milieu de ce peuple misérable auquel
je resterai fidèle jusqu’au terme de mon existence. Je ne cherche pas à fuir ma
condition, même si les hasards de la vie m’ont conduit où je suis, recueillant
parfois quelques miettes de la gloire qui éclaira mon maître. Je n’ai pas non
plus de raison d’avoir honte, parti de si bas, de m’être élevé un peu dans le
monde, n’ayant jamais causé tort à mon prochain et ayant respecté autant que
faire se peut les commandements de Dieu, aidé en cela par mon maître qui veilla
sur moi avec toute la bénignité dont il est capable.
Je me nomme Miroul et n’ai jamais songé à m’appeler autrement,
trouvant qu’il y a grand déshonneur à se détourner du nom que vous ont choisi
vos parents en y ajoutant je ne sais quelle particule orgueilleuse. Mon maître
a prétendu dans ses Mémoires que je me fis donner du Monsieur de La Surie, dès
lors que j’achetai les terres de ce domaine quand notre bon
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