Il était une fois le Titanic
pouvait arborer le pavillon de la Réserve à la poupe des bateaux marchands qu’il commandait. C’est ainsi que, le 10 avril 1912, on vit le Blue Ensign claquer au vent de Southampton, à la poupe du Titanic .
Plusieurs auteurs critiquent néanmoins une certaine insouciance de la part de Smith. Certes, il échoua trois navires 108 durant sa carrière, et plusieurs accidents étaient venus ponctuer ses innombrables traversées. Si sa réputation n’en fut pas entachée, c’est parce qu’il était un homme du monde qui savait recevoir à son bord. Et cet atout continuait d’attirer les personnalités les plus en vue du monde de la politique, des arts et de la finance à bord des paquebots de la White Star. Cet entregent palliait ses éventuels défauts professionnels. À soixante-deux ans, en
parfaite harmonie avec l’image de luxe et de confort que la Star désirait conférer à ses traversées inaugurales, il répondait à l’événement. Walter Lord ne voyageait jamais sous un autre commandement lorsqu’il devait se rendre aux États-Unis, car cet homme « de grande stature et de forte corpulence » avait le regard impérieux « de qui a l’habitude de se faire obéir, rapporte l’auteur de La Nuit du Titanic 109 ». Il ne haussait presque jamais le ton et souriait facilement. Quant au romancier Max Allan Collins, il confirme que Smith était « la coqueluche des habitués de la ligne 110 », faiseur et mondain peut-être plus que marin. Mais, physiquement, la caricature même du capitaine au long cours, posé, rassurant, avec sa barbe blanche et sa ronde bonhomie.
Il était 8 heures, ce mercredi matin 10 avril 1912, lorsque l’équipage fut rassemblé sur le pont. Le capitaine d’armement de la White Star, Benjamin Steel, prit connaissance de la liste qu’il devait remettre au commandant pour accord. Vingt-deux hommes n’avaient pas répondu à l’appel. La plupart occupaient des postes aux machines. De telles absences n’avaient rien d’inhabituel : à chaque embarquement, plusieurs d’entre eux s’oubliaient dans les vapeurs d’alcool ou la désertion. Le capitaine Steel fit donc en urgence recruter de nouveaux candidats dont il examinerait sommairement les compétences avant de signer leur enrôlement. Lorsque le navire larguerait les amarres, seuls treize d’entre eux auraient été retenus, les autres ayant été priés de regagner Southampton à bord des remorqueurs.
À 9 h 30, le train spécial emmenant les passagers de troisième et de deuxième classe arrivait au terminus de la gare maritime. Quatre cent quatre-vingt-dix-sept voyageurs en descendirent. Subjugués, hagards, ils contemplèrent tantôt avec inquiétude, tantôt avec émerveillement la muraille du Titanic dressée devant eux. Mais toujours avec humilité,
tant elle les impressionnait. Ils avaient depuis si longtemps songé à cette traversée, par nécessité ou par plaisir, qu’ils n’en croyaient pas leurs yeux. La plupart n’avaient pas de mots pour expliquer leurs sentiments.
Une porte était ouverte dans la coque du navire pour accueillir les émigrants, au bout d’une étroite passerelle enjambant le quai. C’est par là, chargés de bagages mal ficelés, d’objets hétéroclites et d’enfants traînés par la main, qu’ils pénétrèrent dans le ventre du monstre. À l’entrée, des hommes en uniforme leur demandaient leur titre de passage, tandis que d’autres les conduisaient dans les méandres des coursives aveugles, un dédale de corridors et d’escaliers qu’ils auront le plus grand mal à mémoriser pour se déplacer durant leur séjour à bord, notamment lorsqu’ils voudront se rendre sur le pont-promenade situé à la poupe, en surplomb du gouvernail, là où le sillage s’efface au milieu des souvenirs.
L’embarquement des deuxième classe provoqua moins de confusion. Les secteurs qui leur étaient attribués étaient d’accès plus facile et moins dispersés dans le navire. Ils furent deux cent trente-deux à franchir à leur tour la passerelle avant de s’installer dans leurs cabines et de partir à la découverte des salons pour se les approprier au plus vite et faire de ce bateau le repaire d’une vie à nulle autre pareille, hors du temps, qui ne durerait que quelques jours, mais au cours desquels ils mettraient leur existence entre parenthèses.
Pendant ce temps, le capitaine Maurice Clark, représentant la Marine commerciale, procédait à une ultime inspection des
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